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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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quelqu’un.
    Puis elle considéra Estève.
    —    Et toi, tu te sens bien ? demanda-t-elle en s’avançant au-dessus de la table pour le voir de plus près. Tu as eu de la fièvre ? Des douleurs ? Des coups de suette ? Des taches sur les membres ou sur le torse ?
    —    Non, rien de tout cela. Pas même un étourdissement. J’ignore pourquoi, mais la maladie ne m’a pas atteint, répondit le jeune homme, presque honteux.
    Il se leva et se mit à arpenter la pièce de long en large, fébrile.
    —    Je devrais être mort depuis longtemps, et pourtant je suis là, déclara-t-il en gesticulant nerveusement. C’est à croire que Dieu veut me punir de je ne sais quel péché en me forçant à voir tout le monde tomber et pourrir autour de moi.
    Cette fois, ses yeux se remplirent de larmes et il ne put retenir ses pleurs.
    —    Tu n’as pas à te sentir coupable, dit Pernelle, en lui adressant un regard rempli de compassion. Certains résistent aux pires maladies, sans qu’on sache pourquoi. Tu fais partie de ceux-là. Vois-y une bénédiction.
    —    C’est plutôt un calvaire. Bonne dame, implora Estève entre deux sanglots, peux-tu aider ceux qui vivent encore ?
    —    La plupart de ceux qui sont déjà atteints mourront. Pour les autres, peut-être.
    Mon amie jeta un coup d’œil par la fenêtre. Dehors, le soleil se couchait.
    —    Demain, à la première heure, je me rendrai auprès des survivants et je verrai ce qui peut être fait, annonça-t-elle.
    —    Dieu te bénisse et te mène à bonne fin, dame Liurada, rétorqua Estève d’une voix remplie d’un naïf espoir.
    —    Ne te fais pas d’illusions, mon pauvre ami. Quoi qu’il arrive la plupart mourront.
    Visiblement ragaillardi malgré le sombre prononcement de mon amie, le jeune homme insista pour nous servir un pain rassis qu’il agrémenta des fruits de la récolte, qui avait été faite juste avant l’éclosion de la maladie. Nous eûmes droit en plus à des légumes frais et à du fromage, le tout arrosé de vin.
    —    Vous dormirez ici cette nuit, déclara le jeune homme. Partout ailleurs, il y a des cadavres.
    Nous acceptâmes avec joie. Lorsque le repas fut terminé, je ramassai une bonne portion de tout et me levai.
    —    Je vais aller nourrir sire Gustau avant que la nuit ne soit tombée, dis-je.
    —    Qui ? demanda Pernelle, interdite.
    —    Gustau, insistai-je avec un air entendu.
    —    Ah, oui, bien entendu. Gustau. Il doit avoir faim, le pauvre.
    Je sortis et parcourus le chemin en sens inverse à travers les rues empuanties par les cadavres. Dans la pénombre, elles étaient encore plus sinistres et, autant que faire se pouvait, je m’assurai de regarder droit devant moi. Je devais réfréner mon imagination pour qu’elle ne me joue pas de tours. Arrivé près du puits, je notai avec tristesse que le nourrisson ne bougeait plus. Intérieurement, je lui souhaitai d’avoir retrouvé la Lumière divine que la foi de sa mère lui promettait.
    Je pressai le pas et aperçus bientôt Ugolin, là où nous l’avions laissé. Assis près du buisson d’où le mourant avait émergé quelques heures auparavant, il mâchonnait placidement un brin d’herbe en regardant au loin. Je notai avec satisfaction que le corps avait été dûment enterré, comme me le prouvait le rectangle de terre fraîchement remuée sur lequel plusieurs pierres avaient été empilées. Lorsqu’il m’entendit arriver, il bondit sur ses pieds et tira son épée.
    —    Qui va là ? demanda-t-il.
    —    Du calme, ce n’est que moi.
    —    Ah, il était temps ! s’exclama-t-il en rengainant son arme. Je crève de faim, moi !
    —    Tu sais bien que je ne te laisserais pas mourir, pauvre petit, le taquinai-je.
    Nous nous assîmes côte à côte et je lui décrivis la situation pendant qu’il s’empiffrait rondement.
    —    Quatre croisés sont passés par ici deux jours avant nous. J’en ai trouvé deux déjà morts.
    —    Et les deux autres ? s’enquit-il.
    —    Le petit n’en sait rien.
    —    Mieux vaut être sur nos gardes, alors.
    —    Comme tu dis. Évite de faire un feu et s’il se passe quoi que ce soit, monte sur ton cheval et fuis. Compris ? Ne viens pas nous avertir. Tu attraperais la mort. Nous te retrouverons en temps et lieu.
    —    Si vous êtes en état de le faire.
    —    Évidemment.
    —    Et les habitants ?
    —    Pernelle

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