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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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prendre mes précautions, ni de toucher des malades à mains nues.
    Elle mit ce qu’il restait de vinaigre dans son coffre, ramassa les gants, et nous reprîmes notre chemin. Une fois sortis du village, nous nous engageâmes dans la forêt. Nous marchâmes pendant près d’une heure en suivant un étroit sentier, avant qu’Estève fasse une pause.
    —    Nous sommes tout près, nous dit-il.
    —    Mettez vos mouchoirs, ordonna Pernelle. Et gardez la bouche bien fermée. Parlez le moins possible.
    Nous obtempérâmes. L’odeur de camphre me fit aussitôt monter les larmes aux yeux et tousser comme un pestiféré, mais je finis par m’y faire. Je me gardai toutefois de m’en plaindre, faisant confiance à Pernelle.
    Nous débouchâmes dans une petite clairière éclairée par les premiers rayons du soleil. Malgré nous, nous ralentîmes le pas devant la scène étrange qui se déployait sous nos yeux. La brume matinale créait une ambiance presque irréelle.
    La maladie engendre la peur et désagrège toutes les fidélités, et ce qu’il restait de la population de Mondenard ne faisait pas exception à cette règle. Une quarantaine de villageois étaient répartis en deux groupes aussi éloignés l’un de l’autre qu’il était possible. D’un côté se trouvaient une douzaine d’individus étendus dans l’herbe humide et enroulés dans des couvertures. Il fallait être aveugle pour ne pas voir, même de loin, qu’ils étaient atteints de la maladie. Tous luisaient de sueur et plusieurs déliraient dans leur sommeil. Quelques-uns présentaient les taches sombres qui indiquaient que le mal était avancé. À l’autre extrémité de la clairière, les villageois encore sains étaient blottis, apeurés, les uns contre les autres et semblaient se méfier des premiers, parmi lesquels se trouvaient sans doute des parents et des amis qu’ils n’auraient pas touché pour tout l’or du monde. Entre les deux, des feux de camp formaient une ligne qui isolait les malades des autres.
    Pernelle enfila les gants encore mouillés de vinaigre et se remit en marche. Elle ignora complètement les malades et se dirigea d’un pas déterminé vers les villageois qui paraissaient sains. Son coffre dans les bras, je la suivis. Estève, lui, nous précéda pour expliquer qui nous étions et je pus voir l’espoir renaître dans les yeux des hommes, des femmes et des enfants qui, jusque-là, s’étaient sentis abandonnés. Pendant qu’ils se nourrissaient des vivres qui leur avaient été apportés, mon amie les examina un à un. En quelques minutes, elle identifia trois personnes présentant des symptômes et, d’un ton sans réplique, ordonna qu’ils aillent rejoindre les autres malades. Parmi eux se trouvait une mère qui hurla tant de devoir abandonner ses enfants qu’elle dut être tirée de force par le pauvre Estève jusque de l’autre côté, où elle fut maîtrisée autant que consolée par ceux qui en étaient encore capables. Jamais je n’avais vu mon amie aussi insensible et dure, mais je la connaissais assez pour savoir que son attitude n’avait d’autre motif que de sauver le plus de vies possible. Pour elle, il n’en allait pas de Mondenard, mais du Sud tout entier.
    Lorsqu’elle fut satisfaite, elle se releva en ôtant ses gants, et revint vers moi. Estève se trouvait parmi les malades, auxquels il distribuait encore des vivres. Il prenait le temps de dire un bon mot à chacun et de s’enquérir des besoins de tous. Lorsqu’il eut terminé, il vint nous rejoindre.
    —    Alors ? s’informa-t-il.
    —    Les villageois sains resteront ici, loin des miasmes, décréta Pernelle. Les autres doivent être ramenés au village séance tenante.
    —    Et y côtoyer les morts ? Mais.
    —    Estève, l’interrompit-elle avec un mélange de compassion et d’autorité, tu dois comprendre que, quoi que nous fassions, ils mourront, à moins que leur corps ne résiste à la maladie. Certains ne se rendront même pas à la nuit. Ils doivent être éloignés des autres avant de les contaminer.
    —    Je. je comprends, dit le jeune homme en baissant les yeux.
    —    Que ceux qui peuvent marcher portent les autres. Une fois sur place, tu leur demanderas de t’aider à engranger tous les morts dans une seule maison dont tu marqueras la porte d’une grande croix à la craie. C’est très important. Tu as bien compris ?
    —    Oui, dame Liurada.
    —    Lorsque ce sera fait,

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