L'Etoffe du Juste
de 1209. Un des chefs militaires les plus craints, il devient vicomte de Béziers et de Carcassonne.
Première partie
Vers le Nord
Chapitre 1 Exil
Quitter Toulouse fut l’une des choses les plus difficiles que je fis de toute ma vile existence. Je devais laisser derrière moi le seul endroit où j’avais été un tant soit peu à ma place et abandonner plusieurs de ceux qui m’étaient devenus chers. J’avais le sentiment de m’exiler, pour autant qu’un damné destiné à errer seul parmi les hommes puisse prétendre s’enraciner quelque part. Sans que je m’en aperçoive, le Sud tout entier s’était insinué en moi. Mais je n’avais droit à rien de tout cela.
Je m’éloignais d’abord de la dépouille de Bertrand de Montbard, cet homme qui avait donné un sens à ma vie, allant jusqu’à sacrifier la sienne pour permettre la perpétuation de ma quête. Pour la première fois depuis mes quatorze ans, il ne serait plus présent à mes côtés. Son absence laisserait un vide profond. Je tournais aussi le dos aux vivants. Par leur courage et leur intégrité, le comte de Foix et son fils, Roger Bernard, avaient gagné à jamais mon estime et ma loyauté. J’espérais en mériter autant de leur part. J’avais conscience que, pour eux, la bataille approchait et qu’ils risquaient d’y laisser leur vie sans que je sois là pour leur porter secours.
Par-dessus tout, je devais renoncer à ma tendre Cécile, la seule femme pour laquelle je m’étais autorisé à éprouver des sentiments plus nobles que le bas désir charnel. En franchissant les murailles de la cité, je renonçais à un avenir auquel j’avais eu la folie de croire, l’espace d’un instant, mais qui m’était interdit. Que je le veuille ou non, ma vie ne m’était que prêtée et elle était ma prison. La seule chose qui restait à déterminer était de savoir si je passerais l’éternité en enfer ou au paradis. Dans un cas comme dans l’autre, le bonheur terrestre n’était pas pour moi.
Point n’est besoin d’ajouter que j’avais le cœur lourd en quittant Toulouse. Plus que jamais, je ressentais ma damnation.
Après que Cécile et Roger Bernard eurent quitté l’étable, je restai longtemps les bras ballants, incapable de la moindre initiative. J’avais cruellement conscience que ma seule chance d’être heureux venait de disparaître et je me sentais vide.
Une main se posa sur mon épaule.
— Tu n’es pas obligé de partir, tu sais, Gondemar, dit doucement Pernelle, qui était venue me retrouver. Tu l’aimes et elle t’aime tout autant. Elle te rend aussi heureux qu’un homme comme toi peut l’être. Je ne te blâmerai pas si tu décides de rester avec elle. Dieu ne donne pas d’ordres. Il offre des choix.
— Dans ton cas, peut-être, murmurai-je, mais pas dans le mien.
— Alors, ne reste pas là, mon pauvre ami. Sinon, ton cœur va devenir si lourd que tu ne pourras plus bouger.
Je hochai tristement la tête. Elle avait raison, évidemment. On ne m’avait pas rendu la vie pour que je me complaise dans mes tourments. Je me frottai énergiquement le visage et secouai la tête. Il était temps de passer à la suite des choses.
Nous utilisâmes l’heure suivante à compléter nos préparatifs de départ. Nos chevaux sellés, l’état de leurs fers vérifié et nos maigres bagages fixés, nous quittâmes l’étable en tirant nos montures. En plus de quelques provisions, Pernelle emportait son fidèle coffre. Sauvage piaffait d’impatience, comme il le faisait toujours quand il se rendait compte que nous partions ensemble. Je me dis qu’au moins l’un de nous était heureux de ce départ. Je lui caressai distraitement le museau et il s’ébroua joyeusement avant de me l’enfouir dans le creux de l’épaule, ce qui me chatouilla et me fit rire malgré moi.
Ugolin, Pernelle et moi nous mîmes en selle. Nous nous dirigions au trot vers la porte de la muraille la plus proche lorsque le Minervois me tira de mes sombres pensées.
— Regarde qui revient, dit-il.
Je suivis son regard, espérant contre toute attente apercevoir Cécile. Mais nos adieux étaient faits et, en cet instant même, elle devait être effondrée quelque part, à pleurer toutes les larmes de son corps. Je me dis que j’étais bien prétentieux, mais je ne réussis pas à m’en convaincre. Son amour était sincère et je savais son cœur aussi brisé que le mien.
Je vis plutôt Roger Bernard qui
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