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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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reviens sans tarder. J’aurai besoin de ton aide.
    Il retourna auprès des pauvres malades et leur expliqua longuement ce qu’il en était. La plupart semblèrent accepter leur sort avec cette résignation propre aux cathares, pour qui la chair n’était qu’une prison dont il fallait s’échapper à la première occasion. Quelques-uns furent plus difficiles à raisonner, mais bientôt le pitoyable convoi s’ébranla, ceux qui étaient capables supportant ou transportant les impotents. Menés par Estève, ils disparurent bientôt dans la forêt, en direction du village où la mort les attendait.
    —    Quant à toi, dit Pernelle en me prenant le bras, dès qu’Estève sera de retour, tu descendras au village, tu repéreras la maison qu’il aura marquée et tu y mettras le feu.
    Je la regardai, bouche bée. Des images de l’église de Rossal se mirent à se bousculer dans ma tête. Le crépitement du feu dans le bois sec. L’odeur de la fumée et de la chair brûlée. Les hurlements des innocents qui agonisaient dans les pires souffrances. Le père Prelou, adossé contre le mur que les flammes consumaient.
    —    Non. je. je ne peux pas, dis-je, des sueurs froides me coulant dans le cou. Pas ça.
    —    Allons, je ne te demande pas de les brûler vivants ! dit-elle, comme si elle avait lu dans mes pensées. Nous ne viendrons jamais à bout de la contagion si nous laissons les corps se corrompre à l’air libre.
    —    Je. je le ferai.
    Nous passâmes le reste de la journée à organiser le camp dans l’espoir qu’il soit plus confortable pour les bien-portants. Car il était hors de question qu’ils retournent dans leurs maisons avant plusieurs jours encore, le temps que Pernelle soit certaine qu’aucun d’eux ne développait la maladie. À regret, j’utilisai Memento pour couper des branches dont nous confectionnâmes des matelas de fortune. Nous organisâmes les tâches avec efficacité, les femmes et les enfants étant chargés de ramasser du bois sec pour les feux tandis que les hommes tendaient des collets pour attraper du gibier.
    Lorsque je vis Estève revenir en fin d’après-midi, j’attendis que Pernelle l’occupe à d’autres tâches pour ramasser une grosse branche enflammée dans un des feux de camp. Ainsi équipé, je partis affronter mon passé.
    Lorsque j’arrivai dans le village, je le trouvai désert et me dis que les malades encore vivants devaient agoniser dans leurs demeures. Je repérai, à ma droite, un peu en retrait, celle dont Estève avait marqué la porte d’une grande croix de craie blanche. Je me mis en marche d’un pas lourd, mes jambes semblant se mouvoir de leur propre chef. En chemin, je ramassai quelques-uns des fagots que les habitants empilaient devant leurs maisons pour se chauffer et les emportai avec moi pour les entasser le long des murs de la demeure. Puis je restai planté là, ma torche dans la main, incapable de remplir l’office que mon amie avait posé sur mes épaules. Non pas que le fait de brûler des cadavres me répugnait. Tous ces gens avaient déjà quitté ce monde depuis longtemps et n’avaient plus mal aux os. Je comprenais aussi qu’il était nécessaire de les éliminer avant qu’ils ne pourrissent et que la maladie ne se répande. Mais, malgré mes efforts, une part de moi était de retour à Rossal.
    Je finis par me secouer et avancer de quelques pas hésitants vers la porte, avec l’impression de lutter contre de lourdes chaînes qui me tiraient vers l’arrière. Je devais m’assurer que j’allais brûler la bonne maison. Dans un état second, j’y pénétrai. L’odeur qui m’accueillit était celle d’un charnier. Dans l’unique pièce, Estève et les autres avaient empilé des dizaines de corps les uns par-dessus les autres. Il devait y en avoir une cinquantaine au moins, pêle-mêle ; des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Je pouvais même apercevoir le bras potelé d’un nourrisson qui émergeait de la montagne de chair sans vie.
    À la vue du petit membre, je fus pris d’un haut-le-cœur et je vomis abondamment sur le pas de la porte. J’ignore si je me purgeai ainsi de mon malaise, mais je me sentis un peu mieux par la suite. Je ramassai les paillasses et les empilai le long du mur puis, à l’aide de Memento, je les éventrai. J’y plongeai ma torche. La paille sèche s’embrasa facilement et un souffle d’air chaud me caressa le visage. Lorsque j’eus la certitude que le feu

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