L'holocauste oublié
rassurés. C’est alors que je compris l’expression d’hilarité sur les bonnes faces de farceurs de ces Russes athlétiques : pendant qu’on se disposait à leur injecter le « vaccin » ils riaient en disant « qu’ils en avaient vu d’autres » et « qu’ils n’étaient plus à un vaccin près ». Et ainsi l’espiègle Aliocha n’hésitait pas à prendre sournoisement le tour de l’indolent Fedia pour être plus vite débarrassé. Ceux qui n’étaient pas encore « vaccinés » n’allaient pas tarder à retrouver les vaccinés qui attendaient la désinfection des vêtements.
— Lorsque tous les malades désignés pour recevoir ce traitement se trouvèrent alignés et superposés dans la salle de douches, le thérapeute S.S. vint vérifier s’ils étaient bien morts. Si un mort lui paraissait douteux, il était tiré à l’écart et le S.S. lui exerçait une forte pression sur le thorax avec son pied (respiration artificielle à la mode S.S.) et plus d’une fois, après cette manœuvre, le mort se remettait à respirer. Le S.S. lui accordait une nouvelle dose. J’ai vu à plusieurs reprises administrer trois doses à des morts rétifs et le thérapeute un peu humilié se tournait vers nous, nous disant :
— « Undankbare Arbeit » (travail ingrat).
— Que pouvions-nous répondre pour le consoler.
— « Jawolh, Herre Oberscharführer. »
— Dans le doute, mieux valait dire Ober que Unter car j’avoue que je ne suis jamais arrivé à distinguer leurs grades.
— Je livre les faits dans leur nudité schématique. Je me sentais dépositaire d’un terrible secret. Passe encore d’assister à des injections intracardiaques sur des juifs, mais voir des aryens traités par cette méthode ! Je me sentais devenu en quelque sorte membre du « Sonderkommando ». On sait ce que cela signifie.
— À quelques jours de là, à la corvée de soupe, je fis la connaissance d’un médecin du Nord-Pas-de-Calais et j’éprouvai le besoin de lui confesser ce qui s’était passé, ce que j’étais devenu. Il me raconta qu’il venait de Buna et que là-bas, le médecin allemand (Lagerarzt), l’avait obligé non pas à assister aux injections intracardiaques, mais à les exécuter. Et comme le confrère Lagerarzt lui trouvait une mine assombrie, il lui dit « de se faire un visage gai car c’est un travail qui doit être exécuté avec entrain et allégresse, tout en faisant attention de ne pas recevoir des gouttes de phénol dans les yeux (risque de taies de la cornée) ». Donc : « Jawohl ! Herr Oberscharführer. » Et si le médecin S.S. nous avait obligés à remplacer son subalterne ? Qu’aurions-nous fait à la place de mon malheureux ami du Nord ? Qui oserait affirmer qu’il eût refusé ? Je pense au malheureux du livre de Vercors Les armes de la nuit.
* * *
Pery Broad, S.S. au camp d’Auschwitz a relaté dans ses Mémoires les « autres » traitements réservés aux Russes. Ce document rédigé avant son procès de Francfort et conservé au Musée d’Auschwitz est tout aussi important que celui de son commandant Hoess. Sa lecture est indispensable pour « comprendre » Auschwitz et le traitement qui sera réservé aux tsiganes dont Broad fut le responsable.
— Les Russes expédiés à Auschwitz en 1941-1942 furent internés au camp auxiliaire construit à cette époque à Birkenau. Un drame incroyable y eut lieu par la suite. Les hommes torturés par la faim furent atteints de démence (58) . Ils se précipitaient goulûment sur les grenouilles, sur chaque navet. Tous les soirs, des chariots emportaient des morts vers le crématoire d’Auschwitz. Les mourants, ne pouvant plus supporter leurs souffrances inouïes, grimpaient volontairement sur les chariots et y étaient abattus comme du bétail.
— Un jour, on put observer un Russe étendu dans un chariot sur un tas de cadavres. Il respirait à peine. Sa tête ballottait par-dessus la barre latérale. Un S.S. s’approcha du chariot et cogna de toutes ses forces avec un gourdin sur la tête qui pendait. Le Russe rejeté en arrière, retomba cette fois avec la tête pendant par-dessous la barre ; un second coup rejeta de nouveau la tête du mourant dans la position précédente. Le soldat S.S. paraissait s’en amuser. Bien que le malheureux fût déjà mort, le S.S. continuait à rouer de coups le cadavre jusqu’à ce que la tête soit devenue une masse informe et sanglante.
— Un
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