L'Ile du jour d'avant
cousins de San Salvatore, ce qui représentait une pesante punition à coup sûr (il y avait Quirino, à San Salvatore, un vigneron qui savait hisser Roberto sur un figuier d’une hauteur vertigineuse), mais à coup sûr moindre que les galères du Sultan.
Pour nous l’histoire paraît simple : le père est fier d’avoir un rejeton qui ne ment pas, il regarde la mère avec une satisfaction mal dissimulée, et il punit avec indulgence, façon de sauver les apparences. Mais sur cet événement Roberto eut à broder longuement, arrivant à la conclusion que père et mère avaient sans nul doute pressenti que le coupable était Ferrante, ils avaient apprécié le fraternel héroïsme de leur fils préféré, et ils s’étaient sentis soulagés de ne pas devoir mettre à nu le secret de la famille.
Peut-être est-ce moi qui brode sur de maigres indices, mais le fait est que la présence du frère absent aura un poids dans cette histoire. De ce jeu puéril, nous retrouverons des traces dans le comportement de Roberto adulte ou du moins de Roberto au moment où nous le trouvons sur la Daphne , en une occurrence qui, à vrai dire, aurait embrouillé quiconque.
De toute manière, je dévie ; nous devons encore établir comment Roberto arrive au siège de Casal. Et là, il convient de donner libre voie à l’imagination et de se figurer comment cela peut s’être passé.
À la Grive, les nouvelles ne parvenaient pas avec grande célérité, mais depuis au moins deux ans l’on savait que la succession au duché de Mantoue provoquait de nombreux tracas au Montferrat, et qu’il y avait déjà eu un demi-siège. En bref – et c’est une histoire que l’on a déjà racontée, fût-ce de façon plus fragmentaire que la mienne – au mois de décembre 1627 mourait le duc Vincenzo II Mantoue, et autour du lit de mort de ce dissolu qui n’avait pas su faire d’enfants, il s’était célébré un ballet de quatre prétendants, de leurs agents et de leurs protecteurs. Le marquis de Saint-Charmont l’emporte, qui réussit à convaincre Vincenzo que l’héritage revient à un cousin de la branche française, Charles de Gonzague, duc de Nevers. Le vieux Vincenzo, entre un râle et l’autre, fait ou laisse faire que Nevers épouse en toute hâte sa nièce Marie de Gonzague, et il expire en lui laissant le duché.
Or, Nevers était français, et le duché dont il héritait comprenait aussi le marquisat du Montferrat avec sa capitale Casal, la forteresse la plus importante de l’Italie du Nord. Situé qu’il était entre le Milanais espagnol et les terres des Savoie, le Montferrat permettait le contrôle du cours supérieur du Pô, des passages entre les Alpes et le sud, de la route entre Milan et Gênes, et il s’insérait comme un tampon entre la France et l’Espagne, aucune des deux puissances ne pouvait se fier à cet autre tampon qu’était le duché de Savoie où Charles Emmanuel faisait un jeu qu’il serait indulgent de définir double. Si le Montferrat allait à Nevers, c’était comme s’il allait à Richelieu ; et il était donc évident que l’Espagne préférait qu’il allât à quelqu’un d’autre, disons le duc de Guastalla. À part le fait que le duc de Savoie avait quelque titre à la succession lui aussi. Cependant, puisqu’il existait un testament, et qu’il désignait Nevers, aux autres prétendants il restait seulement à espérer que le Saint et Romain Empereur germanique, dont le duc de Mantoue était formellement feudataire, ne ratifiât point la succession.
Les Espagnols n’en étaient pas moins impatients et, dans l’attente que l’Empereur prît une décision, Casal avait déjà été assiégée une première fois par Gonzales de Cordoue et maintenant, pour la deuxième fois, par une imposante armée d’Espagnols et d’impériaux commandée par le marquis de Spinola. La garnison française se disposait à résister, dans l’attente d’une armée française de secours, encore engagée au nord, et Dieu seul sait si elle arriverait à temps.
Les événements en étaient plus ou moins à ce point-là lorsque le vieux Pozzo, à la mi-avril, réunit devant le château les plus jeunes de ses domestiques et les plus lestes de ses paysans, distribua toutes les armes qui se trouvaient dans le domaine, appela Roberto et tînt à tous ce discours, qu’il devait avoir préparé pendant la nuit :
« Vous, mes gens, écoutez. Notre terre de la Grive a toujours payé tribut au
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