L'Ile du jour d'avant
espaces vides dans les murailles, mais le fortin se trouvait bien protégé par un fossé au-delà duquel on envoya quelques sentinelles. La nuit venue, le ciel était si clair que les sentinelles somnolaient et même les officiers jugeaient improbable une attaque. En revanche, on entendit soudain sonner la charge et on vit apparaître les chevau-légers espagnols.
Roberto, placé par le capitaine Bassiani derrière des bottes de paille qui colmataient une partie éboulée de l’enceinte, n’eut pas le temps de comprendre ce qui arrivait : chaque chevau-léger portait en croupe un mousquetaire, et, lorsqu’ils parvinrent près du fossé, les montures commencèrent à le longer en cercle tandis que les mousquetaires tiraient pour éliminer les rares sentinelles, puis chaque mousquetaire s’était jeté bas, roulant dans le fossé. Au moment où les chevau-légers se disposaient en hémicycle face à l’entrée, contraignant d’un feu serré les défenseurs à se mettre à l’abri, les mousquetaires gagnaient indemnes la porte et les brèches les moins défendues.
La compagnie italienne, qui était de garde, avait déchargé ses armes et puis s’était dispersée en proie à la panique, raison pour quoi on la vilipenderait longtemps, mais les compagnies françaises non plus ne surent pas faire mieux. Entre le début de l’attaque et l’escalade des murailles, il n’était passé que quelques minutes, et les hommes furent surpris par les attaquants, désormais dans l’enceinte, alors qu’ils ne s’étaient pas encore armés.
Les ennemis, exploitant la surprise, massacraient la garnison, et ils étaient en si grand nombre que, à l’instant où certains s’employaient à abattre les défenseurs encore debout, d’autres déjà se jetaient sur les morts pour les dépouiller. Après avoir tiré sur les mousquetaires et alors qu’il rechargeait péniblement, l’épaule étourdie par le recul, Roberto avait été surpris par la charge des chevau-légers, et les sabots d’un cheval, qui lui passait par-dessus la tête à travers la brèche, l’avaient enseveli sous l’écroulement de la barricade. Ce fut une chance : protégé par la chute des bottes de paille, il avait échappé au premier et mortel choc, et maintenant, lorgnant sous sa meule, il voyait avec horreur les ennemis finir les blessés, couper un doigt pour emporter une bague, une main pour un bracelet.
Le capitaine Bassiani, voulant remédier à la honte de ses hommes en fuite, se battait encore courageusement, mais il fut enveloppé et contraint de se rendre. Du fleuve on s’était aperçu que la situation était critique, et le colonel de la Grange, qui venait de quitter le fortin après une inspection pour rentrer à Casal, tentait de se lancer au secours des défenseurs, retenu par ses officiers qui conseillaient au contraire de demander des renforts dans la ville. De la rive droite partirent d’autres barques tandis que, éveillé en sursaut, Toyras arrivait au galop. On comprit bien vite que les Français étaient en déroute et que la seule chose à faire c’était d’aider, avec des tirs d’accompagnement, les rescapés à regagner le fleuve.
Dans cette confusion on vit le vieux Pozzo qui, piaffant, faisait la navette entre l’état-major et l’atterrage des barques en cherchant Roberto parmi les survivants. Lorsqu’il fut quasi certain qu’il n’y avait plus de barques qui arriveraient, on l’entendit émettre un « O zestedieux ! » Puis, en homme qui connaissait les caprices du fleuve, et faisant passer pour triple sot qui avait jusqu’à présent péniblement souqué, il avait choisi un point devant l’un des îlots et poussé sa monture dans l’eau, piquant des deux. Traversant un bas-fond il fut sur l’autre rive sans même que le cheval dût nager, et il s’élança comme un fou, estramaçon au vent, en direction du fortin.
Un groupe de mousquetaires ennemis vint au-devant de lui, tandis que déjà le ciel pâlissait, et sans comprendre qui était ce solitaire : le solitaire les traversa et en élimina au moins cinq, le fendant infaillible, tomba sur deux chevau-légers, fit cabrer son cheval, se pencha de côté esquivant un coup et d’un coup se dressa faisant accomplir à sa lame un cercle dans l’air : le premier adversaire s’abandonna sur sa selle, les boyaux coulant le long de ses bottes tandis que sa monture s’enfuyait ; le second resta les yeux exorbités, cherchant de ses doigts une
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