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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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mécanique ou dans un paradis terrestre caché au sein de la terre, Roberto vaguait dans cet Éden qui le portait à d’odorants délires.
    Et puis, quand il en fait le conte à sa Dame, là il dira les agrestes frénésies, les caprices des jardins, Protées luxuriants, les cèdres (cèdres ?) affolés d’amène fureur… Ou bien il le revivra comme une caverne flottante riche d’automates trompeurs où, ceints de cordes horriblement entortillées, surgissaient de fanatiques nasitorts, funestes drageons de selve barbare… Il décrira l’opium des sens, une ronde de putrides éléments qui, précipitant d’impures essences, l’avait conduit aux antipodes de l’entendement.
    Il avait d’abord attribué au chant qui lui parvenait de l’Île l’impression que des voix emplumées se manifestaient parmi les fleurs et les plantes : mais soudain il fut parcouru de frissons au passage d’une chauve-souris qui lui effleura presque le visage, et il dut, sitôt après, faire un écart pour éviter un faucon : l’oiseau s’était jeté sur sa proie, la terrassant d’un coup de bec.
    Une fois passé dans le second-pont en entendant encore au loin les oiseaux de l’Île, et convaincu de les percevoir encore à travers les ouvertures de la quille, maintenant Roberto entendait ces sons beaucoup plus proches. Ils ne pouvaient pas venir du rivage : d’autres oiseaux, donc, et pas très loin, chantaient par-delà les plantes, vers la proue, du côté de ce paillot d’où lui étaient parvenus les bruits de la nuit précédente.
    Il eut l’impression, en avançant, que le verger finissait au pied d’un tronc au haut fut qui perforait le tillac, puis il comprit qu’il était arrivé plus ou moins dans le centre du vaisseau, où le grand mât s’innervait jusqu’au tréfonds de la carène. Mais, à ce point-là, nature et artifice se confondaient à un tel degré que nous pouvons justifier la confusion de notre héros. D’autant que, à ce point-là précisément, ses narines commencèrent à percevoir un mélange d’arômes, moisissures terreuses et puanteur animale, comme s’il était en train de passer lentement d’un jardin à une soue.
    Et ce fut en allant au-delà du grand mât, vers la proue, qu’il vit l’oisellerie.
    Il ne sut définir autrement cet ensemble de cages en roseaux traversées de solides branches qui servaient de juchoir, habitées d’animaux volants occupés à deviner cette aurore dont ils n’avaient qu’une aumône de lumière et à répondre avec des voix disparates à l’appel de leurs semblables qui chantaient libres sur l’Île. Déposées à terre ou suspendues aux claires-voies du tillac, les cages étaient disposées dans cette autre nef comme des stalactites et des stalagmites, donnant vie à une autre caverne des merveilles où les animaux qui voletaient les faisaient baller et elles croisaient les rayons du soleil qui créaient un papillotement de teintes, un grésil d’arcs-en-ciel.
    Si, jusqu’à ce jour, il n’avait jamais vraiment entendu chanter les oiseaux, Roberto ne pouvait pas dire non plus en avoir jamais vu, du moins d’autant de formes, tant et si bien qu’il se demanda s’ils étaient à l’état de nature ou si la main d’un artiste les avait peints et parés pour quelque pantomime, ou pour figurer une armée qui défile, chaque fantassin et chaque cavalier drapé dans son propre étendard.
    Très perplexe Adam, il n’avait pas de noms pour ces choses, sinon ceux des oiseaux de son hémisphère ; voici un héron, se disait-il, une grue, une caille… Mais c’était comme traiter d’oie un cygne.
    Ici, des prélats à large queue cardinalice et au bec en forme d’alambic ouvraient des ailes couleur de l’herbe et gonflaient une gorge purpurine, découvraient un jabot azuré, psalmodiant, presque humains ; là, de nombreuses escouades s’exhibaient en grand tournoi tentant des assauts aux coupoles déprimées qui circonscrivaient leur lice, au milieu d’éclairs tourterellés et de fendants rouges et jaunes, telles les oriflammes qu’un porte-enseigne lancerait et reprendrait au vol. Dans un espace trop étroit, de boudeurs chevau-légers aux longues jambes nerveuses hennissaient indignés crrra-crrra-crrra, parfois titubant sur un seul pied et regardant avec méfiance autour d’eux, en faisant vibrer leurs houppes sur leur tête tendue… Seul dans une cage construite à sa mesure, un grand capitaine au manteau céruléen, le

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