L'Ile du jour d'avant

justaucorps vermeil comme l’œil et un panache de fleurs de lys sur le cimier, émettait un gémissement de colombe. À côté, dans une petite cage, trois fantassins restaient au sol, sans ailes, sautillants tampons de laine souillée de boue, museau de musaraigne moustachu à la racine d’un long bec recourbé pourvu de narines qui permettaient aux petits monstres de flairer en picotant les vers qu’ils trouvaient sur leur chemin… Dans une autre cage en forme de boyau serpentant, une cigogne menue aux pattes carotte, la gorge aigue-marine, les ailes noires et le bec violâtre, déambulait en hésitant, suivie de quelques petits en file indienne et, à l’interruption de son sentier, vexée elle claquetait, d’abord en s’obstinant à briser ce qu’elle croyait un enchevêtrement de vrilles, puis en reculant et invertissant sa marche, avec ses cigogneaux qui ne savaient plus s’il fallait la précéder ou la suivre.
    Roberto était partagé entre l’excitation de la découverte, la pitié pour ces prisonniers, le désir d’ouvrir les cages et de voir sa cathédrale envahie par ces hérauts d’une armée des airs, pour les soustraire au siège auquel la Daphne, à son tour assiégée par leurs autres semblables là dehors, les contraignait. Il pensa qu’ils étaient affamés, et il ne vit dans les cages çà et là que des miettes de nourriture, et les vases et les écuelles qui devaient contenir de l’eau étaient vides. Mais à côté des cages il découvrit des sacs de grains et des lambeaux de poisson sec préparés par ceux qui voulaient amener cette proie en Europe, car un navire ne va pas par les mers du sud opposé sans rapporter aux cours ou aux académies des témoignages de ces mondes.
    En allant plus loin, il trouva aussi un enclos fait de planches avec une douzaine d’animaux fermiers, qu’il mit au nombre de l’espèce gallinacée, même si chez lui il n’en avait jamais vu de ce plumage. Ils paraissaient pareillement affamés, mais les poules avaient déposé (et elles célébraient l’événement comme leurs compagnes du monde entier) six œufs.
    Roberto en prit aussitôt un, le troua de la pointe de son couteau, et le but comme il le faisait enfant. Puis il plaça les autres dans sa chemise, et, pour récompenser les mères, sans oublier les pères très féconds qui le fixaient fort courroucés en branlant des barbillons, il distribua eau et nourriture ; et ainsi fit-il cage après cage, en se demandant par quelle providence il avait abordé à la Daphne au moment précis où les animaux épuisés touchaient à l’extrême limite. En effet, déjà deux nuits qu’il se trouvait sur le vaisseau et quelqu’un avait pourvu aux volières la veille de son arrivée, tout au plus. Il se sentait comme un invité qui apparaît, certes, en retard à une fête, mais tout juste après le départ des derniers hôtes, et quand les tables n’ont pas encore été débarrassées.
    Au reste, se dit-il, qu’il y eût quelqu’un avant et qu’à présent il n’y soit plus, c’est établi. Qu’il y fut un ou dix jours avant mon arrivée, Cela ne change en rien mon sort, qui, au mieux, devient plus railleur : naufrageant un jour avant, j’aurais pu me joindre aux matelots de la Daphne , où qu’ils soient allés. Ou peut-être pas, j’aurais pu mourir avec eux, s’ils sont morts. Il poussa un soupir (ce n’était du moins pas une affaire de rats) et conclut qu’il avait même des poulets à sa disposition. Il repensa à son propos de libérer les bipèdes de plus noble lignée, et il convint que, si son exil devait durer longtemps, eux aussi eussent pu se révéler comestibles. Ils étaient beaux et multicolores aussi, les hidalgos devant Casal, pensa-t-il, cependant nous leur tirions dessus, et, si le siège avait duré, nous les eussions même mangés. Qui a été soldat dans la guerre de Trente Ans (j’en parle à mon aise, mais ceux qui la vivaient alors ne l’appelaient pas ainsi, et ils n’avaient sans doute pas même compris qu’il s’agissait d’une longue unique guerre où, de temps en temps, quelqu’un signait une paix) a appris à être dur de cœur.

4.
    La Fortification Démontrée
    Pourquoi Roberto évoque-t-il Casal pour décrire ses premiers jours sur le navire ? Certes, il y a le goût de la similitude, assiégé une fois et assiégé une autre fois, mais d’un homme de son siècle nous attendrions quelque chose de mieux. Le cas échéant, ce qui devait le