L'Ile du jour d'avant
Espagnols ébauchaient un mouvement de retrait et les Français marquaient le pas ; Toyras fît expédier du haut des murailles un coup de canon sur la tranchée, Columbat comprit l’invite, commanda l’assaut, la cavalerie le suivit en attaquant la tranchée sur ses deux flancs, les Espagnols se remirent de mauvais gré en position et furent taillés en pièces. Les Français étaient comme fous et certains en frappant criaient les noms des amis tués dans les sorties précédentes, « voilà le coup de Bessères, voilà pour la cassine du Bricchetto ! » L’excitation était telle que, au moment où Columbat voulut recompacter sa troupe, il n’y parvint pas, et ses hommes s’acharnaient encore sur les morts, montrant vers la ville leurs trophées, boucles d’oreilles, ceinturons, brochettes de chapeaux en agitant les piques.
Il n’y eut pas aussitôt de contre-attaque, Toyras commit l’erreur de le considérer comme une erreur, et c’était un calcul. Jugeant que les Impériaux étaient occupés à envoyer d’autres troupes pour contenir cet assaut, il les invitait avec d’autres coups de canon, mais eux se limitèrent à tirer dans la ville et un boulet ravagea l’église de Saint-Antoine, juste à côté du quartier général.
Toyras en fut satisfait et il donna l’ordre à l’autre groupe de quitter le bastion Saint-Georges. Peu de compagnies, mais sous le commandement de monsieur de la Grange, vif comme un adolescent malgré ses cinquante-cinq ans. Et, l’épée pointée devant lui, la Grange avait donné l’ordre de la charge contre une petite église abandonnée, longée par les travaux d’une galerie déjà bien avancée, lorsque, soudain, derrière une cunette le gros de l’armée ennemie était apparu, qui attendait depuis des heures ce rendez-vous.
« Trahison ! » avait crié Toyras en descendant à la porte, et il avait ordonné à la Grange de se replier.
Peu après, un enseigne du régiment de Pompadour lui avait amené, les poignets attachés par une corde, un jeune garçon casalois qui avait été surpris dans une petite tour près du château tandis qu’avec un linge blanc il faisait des signes aux assiégeants. Toyras l’avait fait allonger par terre, lui avait inséré le pouce de la main droite sous le chien levé de son pistolet, avait pointé le canon sur sa main gauche, placé le doigt sur la détente et lui avait demandé : « Et alors ? »
Le garçon avait compris au vol que cela tournait mal pour lui et il avait commencé à parler : la veille au soir, vers minuit, devant l’église Saint-Dominique, un certain capitaine Gambero lui avait promis six pistoles, donné trois en acompte, s’il faisait ce qu’il avait finalement fait, au moment où les troupes françaises s’ébranlaient du bastion Saint-Georges. Il avait même l’air de prétendre aux pistoles restantes, le garçon, sans s’y entendre beaucoup en art militaire, comme si Toyras devait se féliciter de ses services. Puis, à un moment donné, il avait aperçu Roberto et il s’était mis à crier que le fameux Gambero, c’était lui.
Roberto était interdit, le père Pozzo s’était lancé sur le misérable calomniateur et il l’eût étranglé si quelques gentilshommes de sa suite ne l’avaient retenu. Toyras avait aussitôt rappelé que Roberto avait été durant toute la nuit à ses côtés et que, pour être de bonne mine, il n’en était pas moins impossible de le prendre pour un capitaine. Entre-temps, d’autres avaient vérifié qu’un capitaine Gambero existait vraiment, dans le régiment Bassiani, et on l’avait amené à coups de plat d’épée et de bourrades devant Toyras. Gambero clamait son innocence, et le jeune prisonnier en effet ne le reconnaissait pas, mais par prudence Toyras l’avait fait enfermer. Comme dernier élément de désordre, on était venu rapporter que, au moment où les troupes de la Grange se retiraient, quelqu’un avait pris la fuite du bastion Saint-Georges, rejoignant les lignes espagnoles, qui l’accueillirent par des manifestations de joie. On ne pouvait en dire davantage, sauf qu’il était jeune et habillé à l’espagnole avec une résille sur les cheveux. Roberto pensa aussitôt à Ferrante. Mais ce qui l’impressionna le plus fut l’air soupçonneux dont les commandants français regardaient les Italiens de la suite de Toyras.
« Il suffit d’une petite canaille pour arrêter une armée ? » entendit-il son père demander
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