L'oeil de Dieu
avait nom l’OEil de Dieu. Mon père le gardait toujours avec lui, bien qu’il le portât rarement car le joyau excitait la convoitise et aurait transformé en voleur l’homme le plus honnête. Comme vous le savez, en ce temps-là, Richard Neville, comte de Warwick, était le grand ami de mon père et son allié. C’était des jours heureux, Colum, avant que Warwick ne tourne à l’aigre.
Le roi eut un pâle sourire.
— Comme l’on dit, « le lis qui pourrit dégage une odeur plus fétide que la mauvaise herbe ».
Il s’humecta les lèvres et poursuivit :
— Avant la bataille de Wakefield, mon père et le comte de Warwick échangèrent de solennels serments. Mon père offrit alors le pendentif à Warwick comme gage de son amitié. De son côté, Warwick jura que si un jour il ne soutenait plus la maison d’York, le pendentif reviendrait à mon père ou à ses héritiers.
— Or, il a disparu, intervint Gloucester, qui s’était penché en avant et dont les yeux verts trahissaient la fureur. Tout d’abord, nous avons pensé, Sa Majesté et moi, que le joyau avait été volé pendant la bataille par un insignifiant soldat du rang.
Gloucester secoua la tête.
— Hélas, nous avons cherché partout. Des hommes à nous ont surveillé les marchés, nous avons alerté les cours étrangères, mais personne n’a vu l’OEil de Dieu.
Gloucester regarda son frère qui, d’un hochement de tête, lui intima de continuer.
— Nous avons interrogé les uns et les autres. Nous savons que Warwick portait le pendentif durant la bataille, lorsque ses troupes en fuite se sont dispersées. Cependant, quand il fut égorgé, l’OEil de Dieu avait disparu.
Gloucester étendit les mains devant lui.
— Pour abréger, Maître Murtagh, la solution semble évidente : Warwick aura remis le pendentif à quelqu’un.
Gloucester se tut et leva les yeux aux voûtes du plafond.
Kathryn l’observait. Le prince n’était pas très grand, mais il dégageait une force et une détermination que le roi lui-même ne possédait pas. Il avait le tour des yeux rouge et ne cessait de tripoter une bague à son doigt, ou le manche de sa petite dague. C’était un homme nerveux, qui s’emportait facilement, en conclut Kathryn, impatient et inquiet aussi, mais il n’en était pas moins dangereux : son visage perspicace et le regard aigu de ses yeux verts le disaient clairement. Était-il légèrement difforme ? Un peu bossu, peut-être ? Mais non. Ce n’était que la façon dont il bougeait, avec des gestes saccadés suivis de longs instants de silence, durant lesquels il se tenait presque aussi immobile qu’une statue. Il releva la tête et croisa le regard de Kathryn.
— Le roi et moi voulons que l’OEil de Dieu revienne dans la maison d’York, murmura-t-il.
Il frappa le sol de marbre de son pied botté.
— C’est Brandon qui l’a, déclara-t-il.
Colum lui lança un regard railleur.
— Brandon, répéta le roi.
Il se leva, s’étira et descendit doucement de son trône, tapotant du doigt le brocart tendu sur sa panse.
— Brandon était l’un des premiers écuyers de Warwick, reprit-il. Il s’est enfui après la bataille de Barnet, mais fut capturé tout près de Cantorbéry. Comme les survivants de l’armée de Warwick, on le jeta dans la geôle la plus proche, en l’occurrence, le château de Cantorbéry.
Le roi se mit à déambuler comme l’aurait fait un maître pour une importante séance d’enseignement.
— Brandon fut d’abord considéré comme un prisonnier ordinaire, poursuivit-il. Dans des circonstances normales, il aurait passé quelques mois en prison avant d’être relâché. Mon frère Gloucester, cependant, découvrit qu’il était sans doute le dernier à avoir vu Warwick vivant. S’il ne détenait pas le pendentif, il saurait au moins où il était.
Édouard fit entendre un rire sec.
— Mais voilà que la chance nous a joué un nouveau tour. L’enquête que nous avons menée au château de Cantorbéry nous a appris que Brandon est mort de la fièvre des geôles. Il a rejoint le royaume des ombres, emportant le secret de l’OEil de Dieu avec lui.
Le roi porta les yeux sur son frère cadet.
— Mais nous n’y croyons pas, n’est-ce pas, Richard ?
Gloucester secoua la tête, soutenant le regard de son aîné, qui avança pour poser un doigt sur la poitrine de Colum.
— Vous comprenez pourquoi nous avons besoin de vous, Colum. Allez au château de
Weitere Kostenlose Bücher