L'oeil de Dieu
disparaissait dans l’ombre, au-dessus d’eux.
— Où sommes-nous ? chuchota Kathryn.
Ses mots retentirent comme un gong dans la sombre demeure.
Colum porta la main à sa dague. Thomasina, d’habitude bavarde, jetait de furtifs regards autour d’elle comme une fillette apeurée.
Gloucester dut entendre Kathryn. Il revint sur ses pas, son visage blême plus inquiétant encore à la lueur mouvante des chandelles.
— Nous sommes dans la Maison des Secrets, murmura-t-il. C’est ici que les clercs du roi travaillent dans différentes chancelleries. Chaque salle en est une. Il y a la chancellerie de la Papauté, celle des Pays-Bas, celles de l’Empire, de la France, des royaumes de Castille et d’Aragon, de Bourgogne. Les clercs recueillent les informations, trient les bruits circulant dans les cours et ceux que colportent les marchands. Car nous avons des ennemis chez nous et à l’étranger, Maîtresse Kathryn, et ils doivent être anéantis.
Dans ses yeux apparut un éclat fanatique.
— François de Bretagne divertit à sa cour Henri Tudor, le comte d’Oxford et d’autres lancastriens déçus ; près de notre roi, certains jouent un double jeu. Mon devoir, Maîtresse, est d’arracher les mauvaises herbes en épargnant les fleurs. Suivez-moi, maintenant.
Il les conduisit par le grand escalier jusqu’à une galerie supérieure. Là, il frappa doucement à une porte. Un clerc au visage rubicond, une plume d’oie glissée derrière l’oreille, ouvrit, s’inclina et fit entrer tout le monde.
Kathryn promena son regard autour d’elle. La pièce bourdonnait d’activité. Contre les murs blanchis à la chaux étaient alignés de hauts bureaux avec des tabourets qu’occupaient des clercs. Ceux-ci étaient affairés à écrire sur des parchemins, leurs plumes d’oie grinçant sur la peau fraîchement apprêtée. Chaque bureau était pourvu de deux grosses bougies fixées par des pinces en fer, tandis qu’au centre de la pièce se trouvait une grande table couverte de rouleaux de vélin.
— Nous sommes dans la chancellerie d’Angleterre, annonça Gloucester, ou plus exactement celle des comtés au sud de la Trent.
Il tira un petit siège.
— Je vous accorde une faveur, Maîtresse. Asseyez-vous.
Kathryn le fit avec précaution, Thomasina et Colum debout derrière elle, tandis que Gloucester s’adossait à la table à côté d’elle. Il souriait à présent et, par son air plein de sollicitude et de prévenance, évoquait un frère aîné. Il lui effleura à peine la joue. Kathryn trouva ses doigts glacés, mais n’en demeura pas moins impassible.
— Vous êtes la veuve d’Alexander Wyville, commença-t-il. Un jeune homme qui vivait dans la paroisse de Sainte-Mildred, apothicaire de profession. Il lia son sort à celui des Lancastre et quitta probablement Cantorbéry au printemps de 1471, avec le maire rebelle, Nicholas Faunte. Est-ce la vérité ?
Kathryn hocha la tête.
— Est-ce la vérité ? répéta-t-il.
— Nous n’en avons pas la certitude, avoua lentement Kathryn. Alexander… Alexander pouvait perdre la tête quand il avait bu.
Elle baissa les yeux et saisit un fil qui pendait de l’ourlet de sa cape, puis poursuivit sans hésiter :
— Le bruit court qu’il s’est peut-être suicidé en se jetant dans la Stour. On a retrouvé son manteau sur la berge mais…
Elle n’acheva pas sa phrase, et Gloucester le fit pour elle :
— Mais vous ignorez s’il est vivant ou mort ?
Kathryn hocha la tête. Autour d’elle, les clercs s’activaient, et elle n’osait pas révéler qu’Alexander était un ivrogne qui battait sa femme, et comment son père, sur son lit de mort, lui avait avoué que, dégoûté par ce gendre dégénéré, il avait tenté de l’empoisonner. Quant à Kathryn, elle n’avait jamais pu savoir si Alexander s’était enfui, avait été empoisonné ou s’était suicidé. À ce jour, on n’avait pas retrouvé son corps, et elle n’avait reçu aucune nouvelle de lui.
Colum prit la parole à mi-voix.
— Maîtresse Swinbrooke dit vrai. Wyville peut être mort ou alors il se cache.
Sans relever l’intervention de l’Irlandais, Gloucester demanda à Kathryn :
— Est-il vrai, Maîtresse, que quelqu’un vous a accusée du meurtre de votre mari et vous a envoyé des messages anonymes à ce sujet afin de vous soumettre à un chantage ?
Kathryn se figea. Elle avait reçu des lettres, en effet, puis, tout aussi mystérieusement,
Weitere Kostenlose Bücher