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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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faire.

 
     
     
     
     
     
    2
     
     
     
     
    La chapellerie Fortuny, ou ce qui en restait, languissait au bas d'un
étroit immeuble noirci par la suie, d'aspect misérable sur le boulevard San
Antonio, tout près de la place Goya. On pouvait encore lire les lettres gravées
sur les vitres encrassées, et une enseigne en forme de chapeau melon continuait
de se balancer, accrochée à la façade, promettant des couvre-chefs sur mesure
et les dernières nouveautés de Paris. La porte était bouclée par un cadenas qui
semblait être là depuis au moins dix ans. Je collai mon front à la vitrine en
essayant de percer les ténèbres.
    – Si vous venez pour louer, vous arrivez trop tard dit une voix dans
mon dos. L'administrateur est parti.
    La femme qui m'adressait la parole devait avoir la soixantaine et portait l'uniforme
national des veuves éplorées. Des bigoudis dépassaient d'un foulard rose qui
lui couvrait les cheveux, et ses pantoufles ouatinées s'accordaient à des
mi-bas couleur chair. Je compris tout de suite qu'il s'agissait de la
concierge.
    – Donc le magasin est à louer ?
    – Vous ne veniez pas pour ça ?
    – En principe, non, mais on ne sait jamais, je serais peut-être
intéressé.
    La concierge fronça les sourcils, ne sachant si elle devait me classer
dans la catégorie des fumistes ou m'accorder le bénéfice du doute. J'adoptai
mon sourire le plus angélique.
    – Ça fait longtemps que le magasin est fermé ?
    – Au moins douze ans. Depuis la mort du vieux.
    – M. Fortuny ? Vous l'avez connu ?
    – Je tiens cet immeuble depuis quarante-huit ans, jeune homme.
    – Dans ce cas, vous avez probablement aussi connu le fils de M.
Fortuny.
    – Julián ? Bien sûr.
    Je tirai la photo brûlée de ma poche et la lui montrai.
    – Peut-être pourrez-vous me dire si le garçon qui figure sur la
photographie est Julián Carax ?
    Je lus de la méfiance dans son regard. Elle prit la photo et la scruta.
    – Vous le reconnaissez ?
    – Carax était le nom déjeune fille de sa mère, corrigea la concierge,
sur un ton où perçait la réprobation. Oui, c'est bien Julián. Je me souviens
qu'il était très blond, même si, là-dessus, ses cheveux semblent plus foncés.
    – Pourriez-vous me dire qui est la jeune fille à côté de lui ?
    – Et vous, pourriez-vous me dire qui vous êtes ?
    – Excusez-moi, mon nom est Daniel Sempere, et j’essaie de recueillir
des informations sur M. Carax, sur Julián.
    – Julián est parti pour Paris, en 1918 ou 1919. Son père voulait qu'il
s'engage dans l'armée. Je crois quela mère l'a emmené pour le
libérer, le pauvre garçon. Et donc M. Fortuny est resté seul, au dernier étage.
    – Savez-vous si Julián est revenu à Barcelone ?
    La concierge me jeta un long regard avant de répondre.
    – Vous n'êtes pas au courant ? Julián est décédé la même année, à
Paris.
    – Pardon ?
    – Je dis que Julián est mort. A Paris. Peu après sont arrivée. Il
aurait mieux valu qu'il fasse l'armée.
    –Puis-je vous demander comment vous savez cela ?
    – C'est bien simple. Parce que son père me l'a dit.
    Je hochai lentement la tête.
    – Je comprends. Il vous a dit de quoi il est mort ?
    – A vrai dire, le vieux ne donnait pas beaucoup de détails. Un jour,
quelque temps après son départ, une lettre est arrivée pour son fils, et, quand
je l'ai que questionné, il m'a dit que celui-ci était mort et que s'il en
arrivait d'autres je n'avais qu'à les jeter. Pourquoi faite vous cette
tête ?
    – M. Fortuny vous a menti. Julián n'est pas mort 1919.
    – Quoi ?
    – Julián a vécu à Paris, au moins jusqu'en 1935, puis il est revenu à
Barcelone.
    Le visage de la concierge s'éclaira.
    – Alors Julián est ici, à Barcelone ? Où ça ? Sainte
Vierge... Eh bien, vous pouvez dire que vous m’apportez une sacrée bonne
nouvelle, parce que c'était enfant très affectueux, un peu bizarre et
fantaisiste, c’est vrai, mais avec un je ne sais quoi qui vous allait droit au
cœur. Il était incapable d'être soldat, ça se voyait de loin. Mon Isabelita
était folle de lui. Figurez-vous que j'ai même cru, un temps, qu'ils finiraient
par se marier et tout ça, des histoires de gosses, quoi... Vous me montrez
encore une fois la photo ?
    Ce que je fis. Elle la contempla comme si c'était un talisman, un
billet de retour pour sa jeunesse.
    – C'est incroyable, vous savez, c'est comme si je le voyais
maintenant... Et ce vilain bonhomme qui le

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