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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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je crois savoir où. Tu as eu une
sacrée veine, gamin. J'appelle ça trouver une aiguille dans une botte de foin.
Bien : tu me le montres ?
    Je lui
tendis le livre, qu'il saisit avec une infinie délicatesse.
    – Je
suppose que tu l'as lu.
    – Oui,
monsieur.
    – Je
t'envie. J'ai toujours pensé que le bon moment pour lire Carax est quand on a
encore le cœur jeune et l'esprit limpide. Tu savais que c'est le dernier roman
qu'il a écrit ?
    Je fis
signe que non.
    – Sais-tu
combien il y a d'exemplaires comme celui-là sur le marché, Daniel ?
    – Des
milliers, j'imagine.
    – Aucun,
rectifia Barceló. A part le tien. Les autres ont été brûlés.
    – Brûlés ?
    Barceló se
borna à m'offrir son sourire hermétique, en tournant les pages du livre dont il
caressait le papier comme s'il s'agissait d'une soie unique au monde. La dame
en blanc se tourna lentement. Ses lèvres esquissèrent un sourire timide. Ses
yeux exploraient le vide, leur iris était blanc comme le marbre. J'avalai ma
salive. Elle était aveugle.
    – Tu
ne connais pas ma nièce Clara, n'est-ce pas ? demanda Barceló.
    Je fis
simplement signe que non, incapable de détacher mon regard de cet être au teint
de poupée en porcelaine et aux yeux blancs, les yeux les plus tristes que j'aie
jamais vus.
    – En
réalité, la spécialiste de Julián Carax, c'est Clara, et c'est pour ça que je
l'ai amenée, dit Barceló. Et d'ailleurs, ajouta-t-il, je crois que le mieux est
que vous me permettiez de me retirer dans une autre salle pour étudier ce
volume pendant que vous bavarderez. D'accord ?
    Je
l'observai, interloqué. Mais sans se soucier de mon embarras, le libraire, en
pirate consommé, me donna une tape dans le dos et s'en alla, mon livre sous le
bras.
    – Tu
sais que tu l'as impressionné ? dit une voix derrière moi.
    Je me
retournai pour découvrir le sourire léger de la nièce du libraire, qui
s'adressait au vide. Elle avait une voix de cristal, transparente et si fragile
qu'il me sembla que ses paroles se briseraient si je l'interrompais au milieu
d'une phrase.
    – Mon
oncle m'a dit qu'il t'a proposé un bon prix pour le livre de Carax et que tu as
refusé, ajouta Clara. Tu as gagné son estime.
    – C'est
bien possible, soupirai-je.
    Je
remarquai que Clara penchait la tête de côté en souriant et que ses doigts
jouaient avec une bague qui me parut être une guirlande de saphirs.
    – Quel
âge as-tu ? demanda-t-elle.
    – Presque
onze ans. Et vous ? Clara rit de ma naïve insolence.
    – Presque
le double, mais ce n'est pas une raison pour me vouvoyer.
    – Vous
paraissez plus jeune, précisai-je, en espérant corriger ainsi mon indiscrétion.
    – Je
te fais confiance, puisque j'ignore à quoi je ressemble, répondit-elle sans se
départir de son demi-sourire. Mais si je te parais plus jeune, raison de plus
pour me dire tu.
    – Comme
vous voudrez, mademoiselle Clara. J'observai avec attention ses mains ouvertes
comme des ailes sur ses genoux, sa taille fragile sous les plis de l'alpaga, le
dessin de ses épaules, l'extrême pâleur de sa gorge et les commissures de ses
lèvres, que j'aurais voulu caresser du bout des doigts. Jamais auparavant je
n'avais eu l'occasion d'examiner une femme de si près et avec une telle
précision, sans avoir à craindre de rencontrer son regard.
    – Qu'est-ce
qui t'intéresse tant ? questionna Clara non sans une certaine malice.
    – Votre
oncle dit que vous êtes une spécialiste de Julián Carax, improvisai-je, la
bouche sèche.
    – Mon
oncle serait capable d'inventer n'importe quoi quand il s'agit de passer un
moment seul avec un livre qui le fascine, expliqua Clara. Mais tu dois te
demander comment une aveugle peut être un expert, si elle ne peut pas lire les
livres qu'on lui présente.
    – Je
n'y avais pas pensé, je vous jure.
    – Pour
un garçon qui a presque onze ans, tu ne mens pas mal. Fais attention, ou tu
finiras comme mon oncle.
    Craignant
de commettre une nouvelle gaffe, je me bornai à rester assis en silence, en la
contemplant, stupide.
    – Allons,
approche, dit-elle.
    – Pardon ?
    – Approche,
n'aie pas peur. Je ne vais pas te manger.
    Quittant
ma chaise, je m'approchai de celle de Clara. La nièce du libraire leva la main
droite pour me chercher à tâtons. Sans bien savoir comment procéder, j'en fis
autant en lui tendant la mienne. Elle la prit dans sa main gauche et me tendit
à nouveau la main droite. Instinctivement, je compris ce qu'elle me demandait
et la

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