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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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main. Nuria Monfort ignora ce geste formel. Elle posa
ses mains sur mes bras, se pencha et me donna un baiser sur la joue. Nous nous
regardâmes en silence et, cette fois, je m'aventurai à chercher ses lèvres, en
tremblant presque. Il me sembla qu'elles s'entrouvraient et que ses doigts
cherchaient mon visage. Au dernier instant, Nuria Monfort recula et baissa les
yeux.
    – Je pense
qu'il vaut mieux que vous partiez, Daniel, murmura-t-elle.
    Je crus
qu'elle allait pleurer et, sans attendre ma réponse, elle referma la porte. Je
restai sur le palier en m'interrogeant sur ce qui venait de se passer, et je
sentis sa présence de l'autre côté, immobile. A l'extrémité du palier, le judas
de la voisine clignotait. Je lui adressai un salut et me précipitai dans
l'escalier. En arrivant dans la rue, j'avais encore, cloués dans l'âme, le
visage, la voix, l'odeur de Nuria Monfort. Je traînai la douceur de ses lèvres
humides et de son haleine sur ma peau par des rues envahies de gens sans visage
qui sortaient des bureaux et des magasins. En enfilant la rue Canuda, un vent
glacial qui cinglait la foule vint m'accueillir. Je rendis grâces à l'air froid
qui balayait ma figure et me dirigeai vers l'Université. Traversant les Ramblas,
je me frayai un passage vers la rue Tallers et me perdis dans son goulet étroit
et obscur, en pensant que je restais prisonnier de cette salle à manger sombre
où j'imaginais maintenant Nuria Monfort assise seule dan s le noir,
en train de ranger silencieusement ses crayons, ses dossiers et ses souvenirs,
les yeux remplis de larmes.

 
     
     
     
     
     
     
    8
     
     
     
     
     
    L'après-midi
touchait à sa fin et s'éclipsait presque en traître, avec une haleine glacée et
un manteau de pourpre qui s'insinuait dans les recoins les plus infimes des
rues. Je pressai le pas et, vingt minutes plus tard, la façade de l’Université
émergea comme un navire ocre échoué dans la nuit. Dans sa loge, le concierge de
la Faculté des lettres lisait les plumes les plus prestigieuses d'Espagne dans
l'édition du soir du Monde sportif. Il ne
restait plus guère d'étudiants dans l'enceinte. L'écho de mes pas m'accompagna
à travers les couloirs et les galeries qui conduisaient à la cour, où la lueur
de deux lampes jaunâtres perçait à peine l’obscurité. L'idée me vint soudain
que Bea s'était moquée de moi, qu'elle m'avait posé un lapin en ce lieu désert
et à cette heure tardive pour se venger de ma prétention. Les feuilles des
orangers luisaient comme des larmes d'argent, et le chant de la fontaine
serpentait sous les arcades. Je scrutai la cour d'un regard déjà chargé de
déception et peut-être aussi d'un lâche soulagement. Elle était là. Sa
silhouette se découpait devant la fontaine, assise sur un banc, les yeux
tournés vers les arcades du cloître. Je m'arrêtai à l’entrée pour la contempler
et, un instant, je crus voir en elle le reflet de Nuria Monfort rêvant éveillée
sur le banc de la place. Je
remarquai qu'elle n'avait pas sa serviette ni de livres, et la soupçonnai de ne
pas avoir eu cours cette après-midi-là Elle n'était peut-être venue que pour me
retrouver. J'avalai ma salive et pénétrai dans la cour. Le bruit de mes pas sur
les dalles me trahit, et Bea leva les yeux, souriante et surprise, comme si ma
présence était due à un hasard.
    – Je
croyais que tu ne viendrais pas, dit-elle.
    – Je
pensais la même chose de toi, répliquai-je.
    Elle resta
assise, très droite, genoux serrés et mains jointes au creux de son ventre. Je
me demandai comment on pouvait sentir quelqu'un si loin de soi et, en même
temps, lire chaque plissement de ses lèvres.
    – Je suis
venue parce que je veux te démontrer que tu te trompais l'autre jour, Daniel.
Te prouver que je vais me marier avec Pablo, que tout ce que tu pourras me
montrer ce soir n'y changera rien, que je partirai quand même avec lui à El
Ferrol dès qu'il aura fini son service militaire.
    Je la
regardai comme on regarde un train qui s'en va. Je me rendis compte que j'avais
passé deux jours à marcher sur des nuages, et le monde s'écroula sous mes
pieds. Je parvins à esquisser un sourire :
    - Et moi
qui pensais que tu étais venue parce que tu avais envie de me voir.
    Je
remarquai que son visage s'enflamma aussitôt.
    – Je
plaisantais, mentis-je. Mais ma promesse de te montrer une facette de la ville
que tu ne connais pas était sérieuse, elle. Comme ça, où que tu t'en ailles,

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