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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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tu
auras au moins un bon motif de te souvenir de moi, ou Barcelone.
    Bea sourit
avec une certaine tristesse et évita mon reg ard.
    – J'ai
bien failli aller au cinéma, tu sais ? Pour ne pas te voir, dit-elle.
    – Pourquoi ?
    Bea
m'observait en silence. Elle haussa les épaules et leva les yeux comme si elle
voulait capturer au vol des mots qui lui échappaient.
    – Parce
que j'avais peur que tu n'aies raison, lâcha-t-elle.
    Je
soupirai. La nuit et ce silence complice qui unit deux êtres étrangers l'un à
l'autre nous enveloppaient, et je me sentis le courage de tout lui dire, quand
bien même ce serait pour la dernière fois.
    – Tu
l'aimes, oui ou non ?
    Elle
m'offrit un sourire tremblant
    – Ça ne te
regarde pas.
    – C'est
vrai, dis-je. Ça ne regarde que toi.
    Son regard
se figea.
    – Et
qu'est-ce que ça peut te faire ?
    – Ça ne te
regarde pas, lui renvoyai-je.
    Son
sourire s'effaça de ses lèvres frémissantes.
    – Les gens
qui me connaissent savent que j'aime beaucoup Pablo. Ma famille et...
    – Mais moi
je suis presque un étranger. Et j'aimerais l'entendre de ta propre bouche.
    – Entendre
quoi ?
    – Que tu
l'aimes vraiment. Que tu ne te maries pas avec lui pour partir de chez toi, ou
pour quitter Barcelone et ta famille, aller loin, là où ils ne pourront pas te
faire du mal. Que tu t'en vas, et non que tu t'enfuis.
    Des larmes
de rage brillaient dans ses yeux.
    – Tu n'as
pas le droit de me parler ainsi, Daniel. Tu ne me connais pas.
    – Dis-moi
que je me trompe, et je m'en irai. Tu l'aimes ?
    Nous nous
dévisageâmes un long moment en silence.
    – Je ne
sais pas, murmura-t-elle enfin. Je ne sais pas.
    –
Quelqu'un a dit un jour que se demander simplement si on aime est déjà la
preuve qu'on a cessé d'aimer, dis-je.
    Bea
chercha à lire l'ironie sur mon visage.
    – Qui a
dit ça ?
    – Un
certain Julián Carax.
    – Un de
tes amis ?
    Je me
surpris moi-même en acquiesçant.
    – Quelque
chose comme ça.
    – Il
faudra que tu me le présentes.
    – Ce soir,
si tu veux.
    Nous
quittâmes l'Université sous un ciel de poix en flammes. Nous marchions sans
but, plus pour nous habituer au pas de l'autre que pour nous rendre quelque
part. Nous trouvâmes refuge dans l'unique sujet que nous avions en commun, son
frère Tomás. Bea en parlait comme d'un étranger que l'on aime mais que l'on
connaît à peine. Elle fuyait mon regard et souriait nerveusement. Je sentis
qu'elle se repentait de ce qu'elle m'avait dit dans la cour, que les mots la
faisaient encore souffrir en la rongeant intérieurement.
    – Écoute,
à propos de ce que je t'ai dit tout à l'heure, dit-elle soudain, tu me promets
de ne pas en parler à Tomás ?
    – Bien sûr
que non. A personne.
    El le eut un rire gêné.
    – J e ne sais pas ce qui m'a prise. Ne sois pas vexé, mais on se sent parfois plus libre de parler
à un étranger qu 'aux gens qu'on
connaît. Je me demande pourquoi.
    Je haussai
les épaules.
    –
Probablement parce qu'un étranger nous voit tels que nous sommes et non tels
qu'il veut croire que nous sommes.
    – C'est
encore de ton ami Carax ?
    –
Non ; je viens de l'inventer pour t'impressionner.
    – Et
comment me vois-tu ?
    – Comme un
mystère.
    – C'est le
compliment le plus étonnant que j'aie jamais reçu.
    – Ce n'est
pas un compliment. C'est une menace.
    –
C'est-à-dire ?
    – Les
mystères, il faut les percer, découvrir ce qu'ils cachent.
    – Tu serais
peut-être déçu en voyant l'intérieur.
    – Je
serais peut-être surpris. Et toi aussi.
    – Tomás ne
m'avait pas dit que tu avais la tête aussi dure.
    – C'est
que le peu que j'en ai, je le garde pour toi.
    –
Pourquoi ?
    Parce que
tu me fais peur, pensai-je.
    Nous nous
réfugiâmes dans un vieux café jouxtant le théâtre Poliorama. Nous nous
installâmes à une table près de la fenêtre et commandâmes des sandwiches au jambon fumé et deux cafés au lait pour nous réchauffer.
Pau après, le gérant, un individu sec et grimaçant comme un diable boiteux,
vint à notre table d'un air empressé.
    – C'est
vous qui avez commandé les chandwiches au chambon ?
    Nous
confirmâmes.
    – Che
regrette de vous informer, au nom de la direction, qu'il ne rechte pas une
miette de chambon. Che peux vous proposer de la chaussiche noire, blanche,
michte, des boulettes ou de la chitarra. Plats de
choix et de première fraîcheur. J'ai auchi de la chardine à l'escabèche, si
vous préférez faire maigre pour raîchon de

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