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L'ombre du vent

L'ombre du vent

Titel: L'ombre du vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carlos Ruiz Zafón
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conchience relichieuse, vu que
ch'est vendredi...
    – Moi, le
café au lait me suffira, répondit Bea.
    Je mourais
de faim.
    – Et si
vous nous donniez deux steaks ? dis-je. Avec du pain, s'il vous plaît.
    – Tout de
chuite, cheune homme. Et echcusezles manques au menu. Normalement ch'ai de
tout, même du caviar borchevique. Mais che choir, ch'est la demi-finale de la
Coupe d'Europe, et nous avons eu beaucoup de monde.
    Le gérant
s'éloigna en faisant des courbettes. Bea l'observait avec amusement.
    – D'où
tient-il cet accent ? De Jaén ?
    – De Santa
Coloma de Gramanet, précisai-je. On dirait que tu ne prends pas beaucoup le
métro ?
    – Mon père
dit que le métro est rempli de gens vulgaires et que, si on le prend seule, on
se fait manquer de respect par les gitans.
    J'allais
objecter, mais je préférai me taire. Bea rit. Dès que les cafés et les plats
furent arrivés, je me jetai dessus sans plus de manières. Bea ne toucha pas à
sa portion. Entourant des deux mains sa tasse fumante, elle m'observa avec un
demi-sourire à la fois curieux et étonné
    – Et
maintenant, que vas-tu me dévoiler que je n'aie encore vu ?
    –
Plusieurs choses. En fait, ce que je veux te montrer appartient à une histoire.
Ne m'as-tu pas dit l'autre jour que tu
aimais beaucoup la lecture ?
    Bea
acquiesça en arquant les sourcils.
    – Eh bien,
il s'agit d'une histoire de livres.
    – De
livres ?
    – De livres maudits, de l'homme qui les a écrits, d'un personnage qui s'est échappé des pages d'un roman
pour le brûler, d'une
trahison et d'une amitié perdue. Une histoire d'amour, de haine et de rêves qui vivent dans l'ombre du vent.
    – Tu parles
comme la couverture d'un roman de gare, Daniel.
    – Ça doit
être parce que je travaille dans une librairie et que j'en ai trop vu défiler.
Mais cette histoire-là est réelle. Aussi vraie que le pain qu'on nous a servi a
au moins trois jours. Et comme toutes les histoires réelles, elle commence et
finit dans un cimetière, encore qu'il ne s'agisse pas du genre de cimetière que
tu imagines.
    Elle me
sourit comme un enfant à qui on annonce une devinette ou un tour de magie.
    – Je suis
tout ouïe.
    J'avalai
ma dernière gorgée de café et contemplai Bea en silence. Je pensai à mon envie
de me réfugier dans son regard insaisissable, dont je craignais qu'il ne fût
transparent, vide. Je pensai à la solitude qui allait m’assaillir, cette nuit,
quand je l'aurais quittée, quand Je n’aurais plus de stratagèmes ni d'histoires
pour me concilier sa compagnie. Je pensai au peu que j'avais à lui offrir et à
tout ce que je voulais recevoir d'elle. Elle souriait. D es pas lé gers se firent entendre, et la voix traînante du gardien nous parvint.
    – Qui est là ?
    – C'est
Daniel Sempere, Isaac.
    Il me
sembla l'entendre jurer tout bas. Suivirent les mille grincements et
gémissements de la serrure kafkaïenne. Finalement, la porte s'entrouvrit pour
révéler le profil aquilin d'Isaac Monfort à la lueur d'une lampe à huile. En me
voyant, le gardien soupira et leva les yeux au ciel.
    – Je ne sais pas pourquoi j'ai posé la
question, dit-il. Qui d'autre cela pouvait-il
être, à cette heure de la nuit ?
    Isaac était emmitouflé dans ce qui me sembla être un
étrange croisement de blouse, de burnous et de capote de l'armée russe. Les pantoufles molletonnées se mariaient à la perfection avec un bonnet de laine à carreaux sur monté d'un pompon.
    – J 'espère que je ne vous ai pas tiré du lit, dis-je.
    – Allons
donc. Je commençais juste à faire ma prière.
    Il lança
un regard à Bea, comme s'il venait de découvrir à ses pieds un paquet de cartouches de dynamite, mèche
allumée.
    – J 'espère pour vous que ce n'est pas ce que ça semble être,
menaça-t-il.
    – Isaac,
je vous présente mon amie Beatriz, et, avec votre permission, j'aimerais lui
faire visiter les lieux. Ne vous inquiétez pas, on peut lui faire toute
confiance.
    – Sempere,
j'ai connu des bébés à la mamelle qui avaient plus de sens commun que vous.
    – C’est
juste pour un moment.
    Isaac
laissa échapper un soupir accablé et examina Bea avec une attention et une
méfiance de policier.
    – Vous
savez que vous accompagnez un débile mental ? questionna-t-il.
    Bea sourit
poliment.
    – Je
commence à m'en
rendre compte.
    – Divine
innocence. Vous connaissez les règles ?
    Bea fit
signe que oui. Isaac hocha la tête et nous fit entrer, en scrutant comme
toujours les

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