Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
reine, toutes ces femmes qui l’entouraient de leurs soins, l’appelaient l’« enfant du miracle », Louis Dieudonné.
Et maintenant, il rentre dans cette chambre du palais du Louvre, où vingt-huit ans plus tôt, un 5 décembre 1637, il a été conçu, et, en cette aube du 20 janvier 1666, il s’avance vers le lit où repose sa mère.
Il voit Monsieur, Philippe duc d’Orléans, soutenu par ses jeunes favoris, poudrés et enrubannés.
Il s’approche. Les médecins le retiennent.
— Est-elle morte ? demande-t-il.
— Oui, sire.
Il entend les sanglots de Philippe, ses gémissements, les mots que son frère répète : « Est-ce là la reine, ma mère ? »
Il est le roi, Louis le Grand. Il ne peut pas pleurer. Il ne le doit pas.
Et cependant, il baisse la tête, et les larmes inondent son visage.
Il reste là un long moment, immobile, entouré de cette foule de courtisans.
L’un d’eux murmure :
— Ce fut une de nos plus grandes reines.
Louis le Grand se redresse. Il ne pleure plus. Il dit, lèvres serrées, voix méprisante :
— Non, un de nos plus grands rois.
Il sort lentement de la chambre.
Il veut s’éloigner de Paris, gagner le château Neuf de Saint-Germain, voir ces lieux où, il y a vingt-huit ans, sa mère lui a donné la vie.
Il méditera seul.
Il a découvert que, même si un prince doit sacrifier au bien de son empire tous ses mouvements particuliers et maîtriser ses émotions, il est des moments où cette règle ne peut se pratiquer.
« La nature avait formé les premiers vœux qui m’unissaient à la reine, ma mère, écrit-il. Mais les liaisons qui se font dans le cœur, par le rapport des qualités de l’âme, se rompent bien plus malaisément que celles qui ne sont produites que par le seul commerce du sang… Cette habitude que j’avais formée à ne faire qu’un même logis et qu’une même table avec elle, cette assiduité avec laquelle je la voyais plusieurs fois chaque jour malgré l’empressement de mes affaires, n’était point une loi que je me fusse imposée par raison d’État, mais une marque du plaisir que je prenais en sa compagnie…»
Il est seul.
Il se souvient de la rigueur avec laquelle sa mère, cette princesse, cette reine, a soutenu sa couronne, « dans les temps où il ne pouvait encore agir », et la manière dont elle lui a abandonné son autorité souveraine afin qu’il fût pleinement le roi.
Il n’avait rien eu à craindre d’elle, de son ambition.
Elle avait voulu que dès le jour de sa naissance, le dimanche 5 septembre 1638, dans ce château Neuf de Saint-Germain où il est revenu en ce mois de janvier 1666, il soit, lui, l’enfant du miracle, lui, Louis Dieudonné, le Roi-Soleil, Louis le Grand.
PREMIÈRE PARTIE
1638-1652
1.
L’enfant, l’avenir du royaume de France, est aux mains des femmes.
Sa mère, les cheveux brillants et défaits tombant sur ses épaules, le tient contre elle, puis elle le présente à l’évêque de Meaux, qui l’ondoie.
L’enfant crie, ouvre et tord la bouche. Les femmes rient. L’une d’elles, petite et forte, s’avance le corsage défait. C’est Mme de La Giraudière, la nourrice, qu’entourent Mme de Lansac, la gouvernante, et Mme de Seneçay, dame d’honneur de la reine, d’autres encore, qui se penchent pour voir cet enfant vigoureux, qui cherche le mamelon, le happe goulûment. Et Mme de La Giraudière rit, en renversant sa tête en arrière, en faisant jaillir ses seins.
Puis elle porte l’enfant jusqu’à l’appartement qui a été préparé.
La chambre où il va reposer est une vaste pièce, à trois fenêtres. Elle est tendue d’un tissu de damas à fleurs. Une balustrade sépare du reste de la chambre l’espace où se trouvent le berceau et une table couverte de coussins. C’est l’autel où l’on place Louis Dieudonné, devant lequel on s’incline.
Ce n’est qu’un nouveau-né de deux jours, mais ce mardi 7 septembre 1638, à quatre heures, couché sur un oreiller blanc, il donne sa première audience. La délégation du parlement de Paris, les magistrats des différentes cours viennent le saluer, sortent de la chambre à reculons, félicitent Louis XIII et le cardinal de Richelieu qui se tient près de lui mais un peu en retrait. Le roi sursaute quand on entend la voix aiguë de l’enfant. Mais on ferme les portes et le roi baisse la tête, redevient ce vieil homme gris, maigre et maussade.
Il hésite. Il s’avance
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