Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
vers la chambre de sa femme. On devine dans la pénombre Anne d’Autriche, qu’on coiffe, qu’on habille, qu’on parfume et qui apparaît enfin, pâle encore, mais belle, rayonnante, jetant à peine un regard vers son époux, ignorant l’homme rouge, ce cardinal qui l’a humiliée et qui maintenant la suit des yeux, cependant qu’elle entre dans la chambre de son fils, dont on entend à nouveau la voix.
C’est un enfant avide. Les nourrices ont les seins meurtris, les mamelons mordus par ces dents aiguës, qui ont poussé si vite. Les femmes se succèdent.
— Il maltraite leurs mamelles, répète-t-on dans tout le château.
Le bruit se répand. Les nourrices le fuient, blessées, affolées. Il en a usé sept en six mois.
Les ambassadeurs transmettent ces nouvelles. L’un d’eux écrit : « C’est aux voisins de la France de se méfier d’une aussi précoce voracité. »
Mais Anne d’Autriche ne se lasse pas de regarder son fils téter, grandir, grossir, faire ses premiers pas.
Elle remercie Dieu de lui avoir donné, après quatre fausses couches, cet enfant qui s’accroche aux jupes de ses nourrices, pour les contraindre à se baisser, à le nourrir.
Elle consulte les astrologues et les devins. Ils dressent les configurations célestes qui annoncent le destin de cet enfant du miracle.
Elle écoute, elle lit et relit les prédictions favorables, qui annoncent un avenir solaire pour ce Louis, né un dimanche, jour du soleil.
« Le dauphin éclairera et chauffera, comme le soleil, le royaume de France, dont il fera le bonheur, et il répandra sa lumière et sa chaleur sur les amis de la France. »
Elle se penche vers lui qui se presse contre elle, au moment où entre, amaigri encore, sombre, Louis XIII, le père revêche, qui s’impatiente, s’irrite de voir ce fils qui refuse de l’approcher et se réfugie dans les jupes de sa mère, ou se cache derrière ses gouvernantes, ses nourrices, les dames d’honneur et les suivantes de la reine.
— Je suis très mal satisfait de mon fils, maugrée-t-il. Il est opiniâtre. Mais je ne suis nullement résolu de lui souffrir ses méchantes humeurs. Dès qu’il me voit, il hurle comme s’il voyait le diable et crie toujours à maman. Ce grand nombre de femmes autour de lui gâte tout. Il faut l’ôter d’auprès de la reine, le plus tôt qu’on pourra.
L’enfant résiste. Il se pelotonne contre sa mère, quand elle l’assoit près d’elle dans cette voiture qui, lentement, fait le tour du parc du château.
Ils rentrent. Ils sont surpris par Louis XIII qui se dresse devant eux, semble menaçant. Les femmes entraînent le dauphin. Louis XIII suit sa femme dans sa chambre. Quelques mois plus tard, le 21 septembre 1640, un second fils, Philippe, naîtra. Mais il n’est que le cadet, celui qui toujours sera soumis à Louis le Grand, que sa mère comble lui aussi de sa tendresse mais qu’elle habillera en fille, parce qu’il ne doit y avoir qu’un seul dauphin, qu’un seul roi, et qu’elle sait combien les frères de souverains sont jaloux et dangereux.
Elle devine ainsi la déception de Gaston d’Orléans, le frère de Louis XIII. Il était, tant que le roi n’avait pas de fils, le successeur désigné. Le voici qui recule de deux rangs au moment même où la mort emporte Richelieu – le 4 décembre 1642 – et où il pourrait ainsi s’approcher du trône que ne garde plus l’homme rouge. Et d’autant plus que Louis XIII s’alite, que son corps décharné est secoué de tremblements, que les vomissements le plient, le vident, que tout annonce la mort, et que les yeux du souverain deviennent vitreux, reflètent l’épuisement et aussi le désir de quitter cette vie.
Parfois, Louis XIII a un regain de vitalité. Il se lève, s’emporte contre ce fils et sa mère. Il ne tolère plus les dérobades et les mauvaises humeurs du dauphin. Il faut que cet enfant s’agenouille, demande pardon au roi son père. Et Louis XIII menace une nouvelle fois de séparer les fils, Louis et Philippe, de leur mère. Puis le corps du roi s’affaisse, il vomit, des coliques le déchirent. On le reconduit jusqu’à son lit.
C’est le mois d’avril 1643. Un homme, un cardinal au teint pâle, aux mains jointes gantées de gris, une fine moustache soulignant son sourire doux, l’expression bienveillante, presque caressante de son regard, s’incline devant Anne d’Autriche et son fils. Il est auprès du roi le successeur de
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