Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
PROLOGUE Louis Dieudonné
Il est debout devant le lit de sa mère.
Il sait qu’elle va mourir.
Il voudrait rester impassible parce qu’il est le roi, celui qu’on appelle, déjà, Louis le Grand.
On le guette. Il ne doit montrer aucune faiblesse.
Il se cambre. Il croise les bras. Il redresse la tête, mâchoires serrées.
Il domine de sa haute taille la foule des courtisans qui se pressent dans cette chambre du palais du Louvre où l’on a transporté la reine mère.
Il fait un pas. Il veut s’approcher d’elle, la voir et l’entendre encore.
Elle murmure :
— Ah, Seigneur, je vous offre ces douleurs ! Recevez-les pour satisfaction de mes péchés.
Il se penche vers elle. Elle ouvre les yeux et il reconnaît son regard, celui d’autrefois, quand elle était la forte, la rayonnante Anne d’Autriche la régente, la reine, et qu’il marchait vers elle, si fier d’être son fils, de sentir qu’elle l’admirait, qu’il la comblait de joie, et il était heureux de s’incliner devant elle, puis de saluer d’un hochement de tête toutes les suivantes aux cheveux bouclés tombant sur leurs épaules souvent nues.
Qu’était-elle devenue, cette mère, cette reine, la courageuse, la déterminée Anne d’Autriche, fuyant la nuit les grands seigneurs en révolte, défendant bec et ongles le pouvoir royal ?
Il voit ses mains, jadis si fines, enflées et déformées. La peau des bras est marbrée, les chairs gangrenées.
Les médecins et les chirurgiens ont entaillé les abcès, les tumeurs qui se sont depuis quelques jours multipliés. Ils ont percé les seins, y enfouissant des morceaux de viande pour que le cancer s’en nourrisse, ne dévore plus le corps. Ils ont versé sur les plaies à vif de l’eau de chaux, pour les nettoyer, brûler les impuretés, les miasmes, ont-ils dit. Ils ont bandé la poitrine et les épaules avec des pansements que les humeurs nauséabondes ont imbibés et jaunis.
Anne d’Autriche a pourtant la force d’esquisser un sourire, de dire :
— Ah, voilà le roi !
Puis, tentant, en vain, de lever la main, elle ajoute :
— Allez, mon fils, allez souper.
Il hésite. Les médecins lui assurent que la mort recule parce que leur traitement est efficace. Chaque matin et chaque soir ils découpent avec des rasoirs les parties corrompues. La reine va survivre et, avec l’aide de Dieu, terrasser la maladie.
Louis sort de la chambre, suivi par la foule qui jacasse.
Tout à coup il s’arrête. Il ne peut oublier le corps noirci de sa mère.
La puanteur des chairs purulentes a aussi envahi l’antichambre. Il s’arrête. Il entend sa cousine, la Grande Mademoiselle, dire de sa voix aiguë :
— C’est une telle odeur qu’on ne peut souper quand on s’en retourne après l’avoir vu panser.
Il la toise. Elle courbe la nuque. Il rentre dans la chambre.
C’est le milieu de la nuit du 20 janvier 1666.
Il s’approche à nouveau du lit. Il est effrayé. Il a suffi de ces quelques minutes pour que le visage d’Anne d’Autriche que la maladie avait épargné jusqu’alors devienne une boule noirâtre, aux traits effacés, aux yeux enfoncés. Les cheveux sont épars, ternes. La peau du crâne apparaît entre les mèches.
Louis mord ses lèvres pour ne pas crier. Il sent qu’il va pleurer. Lui, Louis le Grand ; lui, le Roi-Soleil, il ne doit pas dévoiler son désespoir, cette émotion qui le submerge, qui le fait trembler.
Ils sont là, tous aux aguets, à l’observer. Il craint de tomber. Il cherche un appui, tend les mains en arrière, s’accroche au rebord d’une table en argent massif.
Il ferme les yeux. Il prie.
Quelqu’un crie :
— La reine se meurt.
Il lui semble reconnaître la voix de Monsieur, son frère cadet, Philippe duc d’Orléans, qui était lui aussi au chevet de leur mère.
Louis voudrait avancer, mais sa vue se trouble, il chancelle. Les voix et les rumeurs s’estompent. On répète près de lui : « Le roi, le roi tombe. »
Il tente de se redresser, des mains le soutiennent.
Il est cet enfant de cinq ans, qui marche le 14 mai 1643 vers le cercueil de son père.
Une voix lance : « Le roi est mort ! Vive le roi ! »
On s’était incliné devant lui, Louis XIV, fils de Louis XIII et d’Anne d’Autriche.
Et aujourd’hui, c’est elle qui meurt.
Il n’ouvre pas les yeux. Il se laisse porter hors de la chambre. Tout ce qu’il a appris de ses parents surgit de sa mémoire.
Son
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