Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
l’Europe présente par ses ambassadeurs, et à cet envoyé du shah de Perse, ce qu’est la magnificence du roi de France.
Et il ordonne que le peintre Antoine Coypel installe ses cartons et ses toiles dans la galerie, afin de préparer le tableau représentant cette cérémonie.
Il veut qu’elle soit plus que l’audience d’un ambassadeur venu de Perse. Elle doit rayonner comme l’ultime lumière d’Apollon.
Il faut qu’on se souvienne de ce qu’était le Roi-Soleil.
Il retrouve, après la réception, son appartement, le grand cabinet, et ce corps d’homme mort que son âme vivante habite.
Il ne veut renoncer à rien.
Il mange d’abondance. Il chasse en calèche légère, tenant lui-même les rênes. Il tient Conseil.
Et il veut, le samedi 8 juin, veille de la Pentecôte, recevoir tous ceux, plusieurs centaines, qui désirent être touchés par le roi. « Le roi te touche, Dieu te guérit. »
Ils sont parfois allongés sur des brancards, le corps gris, les plaies purulentes.
Il se penche. Il les touche. Et la douleur est si vive dans son corps, la chaleur si accablante qu’il craint de ne pouvoir se redresser.
Mais il accomplira sa tâche.
Il est le roi qui guérit. Et on est venu des plus lointaines provinces et même d’Espagne pour qu’il appose ses mains sur les corps malades.
Il le doit, puisqu’il vit.
Il veut encore chasser le cerf, mais ce 9 août, assis dans la calèche, sa jambe est si douloureuse qu’il a l’impression qu’on l’incise, qu’on la brise et la tranche à coups de hache, à hauteur du genou et de l’aine.
Le lendemain, il décide de rentrer à Versailles.
Il somnole dans le carrosse et, en arrivant à Versailles, ce samedi 10 août, il se sent si faible qu’il a de la peine à aller de son cabinet à son prie-Dieu.
Il convoque Fagon, lui parle de cette jambe gauche qui ne lui appartient plus que par la douleur qu’elle provoque, et qu’il a l’impression d’avoir perdue, membre étranger, ennemi.
Il écoute Fagon qui évoque une irritation des nerfs, une sciatique qu’on peut soigner, assure-t-il, avec du quinquina, des saignées et des purges.
Il écarte Fagon.
Il veut encore aller jusqu’à Trianon, voir les jardins, dans l’opulence de ce dimanche 11 août 1715.
Il rentre dans ses appartements et, au moment d’en franchir le seuil, il se retourne, et il regarde longuement ces bâtiments, ces fontaines, ces bassins.
Il pense que dans moins d’un mois il aura, le 5 septembre, soixante-dix-sept ans.
Qui reste en vie des temps de son enfance, de sa jeunesse et même de son âge mûr ?
Il faudra bien rejoindre ces morts.
Mais il doit d’abord donner son audience de congé à l’ambassadeur de Perse, le 13 août.
Il est debout. Il doit rester debout, malgré cette lance de douleur qui à partir de sa cuisse gauche s’enfonce jusqu’au cœur.
Mais il ne faiblira pas.
Il est encore le roi Louis le Grand.
43.
La nuit.
Est-elle passée ? Ou bien l’a-t-elle englouti ?
Il n’entend aucun bruit. Il entrouvre les yeux, mais la lumière vive du jour le blesse.
Il referme les paupières.
Il a donc échappé à la nuit.
Il vit encore en ce matin du 14 août 1715.
Il se souvient de ces mâchoires, de ces griffes qui tout au long de la nuit l’ont lacéré, déchiré, l’empêchant de trouver le sommeil, et il a le sentiment qu’il n’a pas dormi, mais été terrassé par la douleur, écrasé par cette jambe gauche, ce lourd boulet de fer rougi qui fond lentement, et le métal envahit le bas-ventre, la poitrine, emprisonne le cœur. Et il étouffe.
Il voudrait que la nuit paisible le recouvre, l’enveloppe.
Et il ne doit pas céder à ce désir. Il doit s’arracher à la nuit, ne pas s’y enfouir.
Il ouvre les yeux et il s’efforce de ne pas les refermer, d’affronter la lumière.
La matinée est avancée.
Il voudrait se lever, mais il ne peut déplacer cette jambe pansée, ce boulet qui le retient couché.
Il reconnaît les médecins qui, maintenant, entourent son lit. Les valets disposent des coussins.
Il sent qu’il ne pourra pas marcher.
Mais il veut réunir et présider le Conseil.
Il veut continuer.
Le lit est devenu son château et la chambre, son royaume.
Il fait ouvrir les portes pour pouvoir écouter la messe.
Qu’on laisse entrer les courtisans. Qu’ils s’avancent jusqu’à la balustrade, qu’ils le voient dîner dans son lit.
Il veut, il doit manger. Il doit
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