Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
1.
Il a quarante-cinq ans.
Il est allongé, les mains croisées sur la poitrine, dans la nuit dense et pesante de son lit à baldaquin.
Il a entendu les craquements du parquet.
Il sait que son premier valet de chambre Bontemps, qui couche par terre, au pied de la balustrade qui clôture le lit, comme si celui-ci était l’autel consacré à Dieu, vient de se lever.
Mais Louis ne bouge pas, n’ouvre pas les yeux.
Il doit attendre.
Il est le roi, et comme le Soleil il est l’horloge du monde.
Il imagine les courtisans qui se rassemblent en frissonnant.
Car ce premier hiver à Versailles est vif. Les pièces, les galeries, les escaliers sont parcourus par des courants d’air glacés.
En ce mois de janvier 1683, les eaux des trente-neuf fontaines du labyrinthe des jardins ont gelé, comme le vin dans les carafes et les sauces dans les plats.
Les dames tentent de réchauffer leurs épaules et leurs poitrines avec des foulards de soie. Elles grelottent. Mais quand on attise les feux, dans les mille deux cent cinquante-deux pièces qui disposent d’une cheminée, la fumée se répand, si épaisse que les yeux pleurent, qu’on ne distingue plus que des silhouettes. Et dans les huit cents pièces qui ne comportent pas de cheminée, le froid paralyse.
Mais qui choisirait de quitter Versailles ? De s’éloigner du Soleil ?
Il ne chauffe pas mais il éclaire et, sans sa lumière, on n’est rien.
Le parquet craque de nouveau.
Bontemps doit se rapprocher de la tête du lit.
Il va dire, comme chaque jour, à sept heures et demie :
— Sire, voilà l’heure !
Puis il ira ouvrir les portes de la chambre, et rentreront le premier chirurgien et le premier médecin, et cette vieille femme, voûtée, la nourrice.
Bontemps dira de nouveau, d’une voix un peu plus forte :
— Sire, voilà l’heure !
Il tirera les rideaux. Il présentera la chemise qui doit remplacer celle de la nuit, puis la coupe en vermeil contenant de l’eau bénite.
Louis se redresse.
Il effleure de son regard les visages de ces hommes et de cette femme qui n’osent le scruter, mais qui essaient de le dévisager à la dérobée.
Tous font ainsi, cherchant à deviner son humeur, ses pensées. Et il doit demeurer impassible, impénétrable, sachant que tous le guettent et qu’ils vont, du « petit lever » – les « grandes entrées » – où ne sont admis que quelques dizaines de gentilshommes aux « entrées de la chambre » où des centaines de personnes se pressent, essayer d’attirer son attention, d’obtenir un regard, un mot.
Il doit, comme le Soleil et comme Dieu, être inaccessible et mystérieux.
Il est celui qui possède le pouvoir de changer les vies, en nommant à telle ou telle fonction, en décidant d’éloigner de Versailles, de faire enfermer à la Bastille ou dans une forteresse de province, ou bien en attribuant une pension, une charge fructueuse.
Tous ici savent qu’ils dépendent de lui.
Voici que s’avancent, après que le barbier – un jour sur deux – l’a rasé, les « secondes entrées ».
Louis s’installe sur sa chaise percée. Il écoute les lecteurs de la chambre lire les nouvelles, les rapports.
Puis c’est le moment du « grand lever », une centaine de gentilshommes, d’ambassadeurs, de cardinaux qui se pressent dans la chambre, cependant qu’on l’habille.
Il lève lentement les bras pour que le grand maître des cérémonies lui passe sa veste et le justaucorps.
Après, il s’agenouillera, puis, avant la messe de neuf heures, il prendra le repas du matin, le dîner ayant lieu à une heure après midi.
Il conviera à la chasse, ou bien à une visite des jardins ou des travaux encore inachevés, quelques courtisans qui rougiront de plaisir, s’inclineront jusqu’à terre, et marcheront, en retrait, près de lui.
Et ce seront, se succédant au cours de la journée, les réceptions d’ambassadeurs, les conseils, les jeux, le souper, le coucher. La chambre, étape par étape, selon un rituel, se vidant peu à peu, et Bontemps à la fin restant seul dans la pièce, tirant les rideaux, se couchant, au pied du lit, contre la balustrade.
Louis, dans la nuit et le silence revenus, garde les yeux ouverts. Il croise les mains sur la poitrine.
Il pense aux gisants, ces souverains qui l’ont précédé.
Il a voulu que le château de Versailles soit sa basilique, mais pour le culte d’un roi vivant et non d’un prince mort.
Il y est
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