Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
à cette question qu’il se pose pourtant.
Il sait gré à Mme de Maintenon de lui avoir conseillé de se rendre souvent chez la reine et il est touché par la peine qu’elle semble éprouver, enveloppée dans les voiles du deuil.
Puis elle s’agenouille et prie.
Et il songe déjà qu’elle pourra occuper les appartements de la reine.
Car il veut rester dans la vie, même si la mort, insatiable, est encore aux aguets.
Colbert va mal. La fièvre le terrasse à son tour.
Il faut charger son fils Seignelay d’organiser les cérémonies de l’enterrement de la reine.
« J’envoie à Votre Majesté, écrit Seignelay, la liste des corps qui sont dans le caveau de Saint-Denis. Il n’y a plus de place et il est nécessaire d’en mettre quelqu’un dans le caveau des Valois qui est le plus proche…»
Il faut aussi se préoccuper des dettes de la reine.
Il dit à Seignelay :
— Essayez donc de savoir le détail des dettes du jeu sans être trompé.
Il connaît les prêteurs, examine les billets écrits de la main de la reine, grande et maladroite joueuse. Ils se montent à cent treize mille livres, qu’il faudra payer.
La mort saisit le vif et laisse les dettes.
Et puis il faut se rendre à Saint-Denis, entendre les éclats de voix et même les rires des courtisans dans les carrosses, voir les mousquetaires quitter le cortège pour aller dans la campagne chasser le lapin !
Il écoute Bossuet qui, dans son oraison, exalte l’« incomparable piété de Marie-Thérèse ».
Mais il lui semble que l’évêque est moins éloquent qu’autrefois, quand il prononçait l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre, première épouse de Monsieur, et qu’il disait :
« Qu’attendons-nous pour nous convertir ? Commencez aujourd’hui à mépriser les faveurs du monde ! Attendons-nous que Dieu ressuscite les morts pour nous instruire…»
Il se tourne vers Mme de Maintenon. Elle est agenouillée sur son prie-Dieu, le front posé sur ses mains croisées.
Il lui est reconnaissant, au moment où il entrait dans cette nouvelle période de la vie – quarante-cinq ans déjà ! –, de lui avoir rappelé ses devoirs envers Dieu, cette présence de la mort qu’aucun pouvoir, fût-il celui du Roi-Soleil, ne peut faire disparaître.
Elle est toujours là, cette mort avide.
Elle emporte Colbert le 6 septembre 1683.
Elle a pris la forme, selon les médecins, d’« une grosse pierre dans l’un des urètres et d’autres moindres dans la vésicule du fiel ».
Il se sent affligé.
« Madame Colbert, écrit-il, je compatis à votre douleur d’autant plus que je sens par moi-même le sujet de votre affliction, puisque, si vous avez perdu un mari qui vous était cher, je regrette un fidèle ministre dont j’étais pleinement satisfait. Sa mémoire me sera toujours une forte recommandation, non seulement pour votre personne que votre vertu recommande assez mais aussi pour tous les siens…»
Seignelay restera au Conseil, chargé de la Marine et de la Maison du roi.
Mais c’est un parent de Michel Le Tellier et de son fils Louvois, Claude Le Peletier, ancien prévôt des marchands, qui se voit attribuer le contrôle des Finances. Et c’est Louvois qui occupe la fonction de surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures.
Il s’interroge.
A-t-il trop cédé au clan Louvois ? Il avait jusqu’alors veillé à ce que, dans les Conseils, l’équilibre soit maintenu, et il avait joué de la rivalité entre les Le Tellier et les Colbert.
Il sait que certains à la Cour, ou au Parlement de Paris, craignent que « le lézard n’ait écorché la couleuvre et que la peau ne soit chez Le Peletier ».
La couleuvre Colbert, il ne l’oublie pas, l’avait bien servi contre l’écureuil Nicolas Fouquet.
Qui va contenir les lézards Le Tellier et Louvois ?
Il convoque Louvois, l’écoute. L’homme est à la fois orgueilleux et servile. Il n’a pas le tempérament « mélancolique et bilieux » de Colbert. Il ne contestera pas la dépense. Et les rumeurs de la Cour rapportent qu’il est, sous ses dehors austères, homme de plaisir. On peut gouverner ces hommes-là.
Colbert était vertueux, préoccupé seulement de sa fortune et de celle des siens. Bon ministre, mais la nuque un peu raide, et toujours cette volonté de restreindre les dépenses royales.
Louis se souvient qu’il avait dû, quelques semaines avant la mort du contrôleur des Finances, lui
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