Marcof-le-malouin
moment ?
– Oh ! non, dit vivement la jolie Bretonne ; marchons plus vite, au contraire.
Un court silence régna de nouveau.
– Ma chère âme ! reprit le jeune homme, vous semblez triste et soucieuse. Est-ce que vous ne m’aimez plus ?
– Si fait, je vous aime toujours, Jahoua, répondit Yvonne avec un adorable accent de sincérité.
– La présence de Keinec vous a fait mal ? avouez-le…
– Oh ! oui.
– Vous avez eu peur, peut-être ?
– Oh ! oui, répéta Yvonne pour la seconde fois.
– Craignez-vous donc Keinec ?
– Je ne le devrais pas ; car, lui ne m’a jamais fait mal ; bien au contraire, il m’a toujours prodigué les soins affectueux d’un frère ; mais, depuis qu’il est revenu au pays, depuis que nous sommes promis, Jahoua, je ne m’explique pas pourquoi, le nom seul de Keinec me fait trembler.
– N’y pensez pas !
– Quand je le vois, sa vue me donne un coup dans le cœur !
– Vous avez tort de vous troubler ainsi. Il ne nous a pas seulement regardés, lui !
– Keinec n’a rien à se reprocher envers moi, tandis que moi, j’ai repris la parole que je lui avais donnée…
– Puisque vous ne l’aimiez pas.
– Mais il m’aime, lui !
– Eh bien ! qu’il vienne me trouver, nous réglerons la chose ensemble !…
– Ne dites pas cela, Jahoua, s’écria vivement la jeune fille.
– Calmez-vous, chère Yvonne ! je ferai ce que vous voudrez. Mais ne vous occupez plus de Keinec, par grâce ! Songez plutôt à votre père, que la tempête aura si fort tourmenté ! Quelle sera sa joie en vous revoyant saine et sauve ! Dans une demi-heure nous serons près de lui. Tenez ! voici ma jument grise qui nous attend…
Les deux jeunes gens, en effet, étaient arrivés devant la porte d’une sorte de grange située au milieu du village. Un paysan bas-breton tenait les rênes d’une belle bête des Pointes de la Coquille, achetée à la dernière foire de la Martyre.
Jahoua aida Yvonne à monter sur une grosse pierre. Lui-même s’élança sur le cheval, et, contraignant l’animal à s’approcher de la pierre, il prit Yvonne en croupe. La jolie Bretonne passa ses bras autour de la taille de son fiancé, et tous les deux gagnèrent rapidement la campagne. Ils se dirigeaient vers le petit village de Fouesnan, qu’habitait le père d’Yvonne.
IV – LE CHEMIN DES PIERRES-NOIRES.
La fureur de la tempête arrivait à son déclin. La nuit était sombre encore, mais les nuages, déchirés par la rafale, permettaient de temps à autre d’apercevoir un coin du ciel bleu éclairé par le scintillement de quelques étoiles. Les feux de la Saint-Jean, allumés sur tous les points de la campagne, formaient une illumination pittoresque.
En sortant de Penmarckh, les deux jeunes gens s’engagèrent dans un sentier encaissé et bordé d’un rideau d’ajoncs entremêlés de chênes séculaires. Ce sentier se nommait le chemin des Pierres-Noires. Il devait cette dénomination à des vestiges de monuments druidiques noircis par le temps, qui s’élevaient à une petite distance de Penmarckh, et auxquels il conduisait.
Au moment où Jahoua et Yvonne, bâtissant projets sur projets, négligeaient le présent pour ne songer qu’à l’avenir, un homme, traversant la campagne en ligne droite, gagnait rapidement le chemin creux. Cet homme était Keinec, qui, son fusil en bandoulière, son pen-bas à la main, courait sur les roches avec l’agilité d’un chamois. En quelques minutes, il eut atteint la crête du talus qui bordait le sentier. Là, il se coucha à plat-ventre. Écartant sans bruit et avec des précautions infinies les branches épineuses des ajoncs, il prêta l’oreille d’abord, puis ensuite il avança lentement la tête. Il entendit les sabots de la jument grise de Jahoua résonner sur les pierres du chemin, et il vit venir de loin, à travers l’ombre, les deux amoureux. Alors se relevant d’un bond, prenant ses sabots à la main, il courut parallèlement au sentier jusqu’à un endroit où celui-ci décrivait un coude pour s’enfoncer dans les terres. Les ajoncs, plus épais, formaient un rideau impénétrable. Keinec les élagua avec son couteau. Cela fait, il planta en terre une petite fourche, et appuyant sur cette fourche le canon de sa carabine, il attendit :
Yvonne et Jahoua riaient en causant. À mesure qu’ils avançaient dans le pays, les feux allumés pour la Saint-Jean devenaient de plus en plus
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