Marcof-le-malouin
l’honneur de monsieur saint Jean .
Aussi, lorsque la nuit étend ses voiles sur la vieille Armorique, de l’orient au couchant, du sud au septentrion, sur la plage baignée par la mer, sur la montagne s’élevant vers le ciel, dans la vallée où serpente la rivière, il n’est pas à l’horizon un seul point qui demeure plongé dans les ténèbres. Nombreux comme les étoiles de la voûte céleste, les feux de saint Jean luttent de scintillement avec ces diamants que la main du Créateur a semés sur le manteau bleu du ciel. Partout la joie, l’espérance éclatent en rumeur confuse.
Les enfants qui, là comme ailleurs, font consister l’expression du bonheur dans le retentissement du bruit, les enfants, disons-nous, sentant leurs petites voix frêles étouffées parmi les clameurs de leurs pères, ont imaginé un moyen aussi simple qu’ingénieux d’avoir une part active au tumulte. Ils prennent une bassine de cuivre qu’ils emplissent d’eau et de morceaux de fer ; ils fixent un jonc aux deux parois opposées, puis ils passent le doigt sur cette chanterelle d’une nouvelle espèce, qui rend une vibration mixte tenant à la fois du tam-tam indien et de l’harmonica. Un pâtre du voisinage les accompagne avec son bigniou. C’est aux accords de cette musique étrange que jeunes gens et jeunes filles dansent autour du feu de saint Jean, surmonté toujours d’une belle couronne de fleurs d’ajoncs.
Les vieillards et les femmes entonnent des noëls et des psaumes. Une superstition touchante fait disposer des siéges autour du brasier ; ces siéges vides sont offerts aux âmes des morts qui, invisibles, viennent prendre part à la fête annuelle. Il est de toute notoriété que les pennères (jeunes filles), qui peuvent visiter neuf feux avant minuit, trouvent un époux dans le cours de l’année qui commence, surtout si elles ont pris soin d’aller deux jours auparavant jeter une épingle de leur justin (corset en étoffe) dans la fontaine du bois de l’église. De temps à autre on interrompt la danse pour laisser passer les troupeaux ; car il est également avéré que les bêtes qui ont franchi le brasier sacré seront préservées de la maladie.
À minuit les feux s’éteignent, et chacun se précipite pour emporter un tison fumant que l’on place près du lit, entre un buis béni le dimanche des Rameaux, et un morceau du gâteau des Rois.
Les heureux par excellence sont ceux qui peuvent obtenir des parcelles de la couronne roussie. Ces fleurs sont des talismans contre les maux du corps et les peines de l’âme. Les jeunes filles les portent suspendues sur leur poitrine par un fil de laine rouge, tout-puissant, comme personne ne l’ignore, pour guérir instantanément les douleurs nerveuses.
Ce soir-là tous les habitants de Fouesnan avaient déserté leurs demeures pour accourir sur la place principale du village, où s’élevait majestueusement une immense gerbe de flammes. L’entrée de Jahoua et d’Yvonne fut saluée par des cris de joie. Nul n’ignorait que les promis étaient en mer, et que la tempête avait été rude.
Au moment où la jument grise s’arrêta sur la place, un beau vieillard aux cheveux blancs et à la barbe également blanche, accourut appuyé sur son pen-bas.
– Béni soit le Seigneur Jésus-Christ et madame la sainte Vierge de Groix ! s’écria-t-il en tendant ses bras vers Yvonne qui, plus légère qu’un oiseau, s’élança à terre et se jeta au cou du vieillard.
– Vous avez eu peur, mon père ? demanda-t-elle d’une voix émue.
– Non, mon enfant ; car je savais bien que le ciel ne t’abandonnerait pas. Le lougre a-t-il eu des avaries ?
– Je ne crois pas ; mais nous avons couru un grand danger…
– Lequel mon enfant ?
– Celui d’aller sombrer dans la baie des Trépassés, père Yvon !… dit Jahoua en serrant la main du vieux Breton.
En entendant prononcer le nom de la baie fatale, tous les assistants se signèrent.
– Heureusement que Marcof est un bon marin ! reprit Yvon après un moment de silence et en embrassant de nouveau sa fille.
– Oh ! je vous en réponds ! Il courait sur les rochers de Penmarckh sans plus s’en soucier que s’ils n’existaient pas…
– Il a donc manœuvré bien habilement ?
– Mon père, dit Yvonne en courbant la tête, ce n’est pas lui qui a sauvé le Jean-Louis …
– Et qui donc ? Le vieux Bervic, peut-être ?
– Non, mon père ;
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