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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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vers le pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, où il purgerait une peine de prison à vie. Le juge Déry avait finalement prononcé la sentence trois jours plus tôt.
    L’ouverture bruyante d’une lourde porte en fer fit sursauter tout le monde. Derrière des barreaux épais, ils virent une silhouette très frêle, celle de Marie-Anne Houde, entrer dans un petit réduit.
    — C’est elle ? demanda Thalie d’une voix éteinte.
    — Oui, fit Fitzpatrick. On lui a donné la permission d’assister au départ de son époux.
    L’étudiante s’approcha de la grille.

    — Laissez-moi voir, dit-elle à un journaliste de La Patrie.
    Le jeune homme se tourna pour envoyer promener l’importune. La vue du joli visage le ramena à de meilleurs sentiments.
    — Mettez-vous devant moi.
    Petite, elle pourrait se coller à la cloison métallique. Lui, verrait au-dessus de sa tête. La trop grande proximité de ce gratte-papier ne la dérangea même pas, tellement la condamnée la fascinait. Le procureur de la Couronne disait vrai. Les cheveux bruns marqués de gris, les yeux un peu globuleux, la silhouette arrondie par la grossesse, tout cela n’avait rien de remarquable.
    — Vous avez raison, remarqua-t-elle en revenant vers l’avocat et son frère. Une femme bien ordinaire, que rien ne distingue des autres... sauf le vide du regard.
    — Cela, tous les condamnés à mort en sont affectés, rétorqua Fitzpatrick.
    De nouveau, le bruit de barres en acier repoussées dans leur logement fit sursauter l’assistance. Avec des chaînes aux pieds et aux mains, Télesphore Gagnon, encadré par deux solides gardiens, entra dans la grande salle.
    — Vous avez cinq minutes pour parler à votre femme, l’informa Jean-Baptiste Carbonneau, le directeur de la prison. Messieurs, si vous voulez avoir la décence de vous éloigner un peu.
    Les derniers mots s’adressaient aux journalistes. Ils reculèrent à regret. Le couple, de part et d’autre de la grille d’acier, les mains réunies entre les barreaux, se concerta longtemps. Marie-Anne Houde laissait échapper des sanglots étouffés. Cet échange serait leur dernier. Dans moins de cinq mois, cette femme devrait danser au bout d’une corde.
    — Francœur n’a pas encore fait appel de la sentence, murmura Mathieu à l’intention de son employeur.
    — Mais de nombreuses personnes plaident déjà en faveur d’une commutation. Peut-être veut-il d’abord voir jusqu’où ira ce mouvement de sympathie.
    — Personne ne peut ressentir de sympathie pour elle, décréta Thalie.
    L’avocat lui adressa un sourire.
    — Etes-vous une justicière de la trempe de votre frère ?
    Vous savez, des femmes très respectables de la Haute-Ville, tout comme des groupes de fermières des comtés de Lotbinière et de Nicolet, abreuvent déjà leurs députés respectifs d’appels à la clémence.
    — Des femmes ? Certainement pas des mères !
    — Surtout des mères. Selon elles, on ne peut exécuter une personne capable de donner la vie. En plus, elle est enceinte. Cette marâtre a fait mourir un enfant, peut-être plusieurs, mais elle sera finalement sauvée par le foetus dans son ventre.
    Ecœurée, Thalie grimaça de dépit. Elle réclamait pour elle-même et ses consœurs les mêmes droits que les hommes. Cela voulait dire aussi les mêmes devoirs, et éventuellement les mêmes sentences, dans le cas de crimes.
    — Quelle sensiblerie !
    Près de la porte donnant accès à l’extérieur, un constable déclara :
    — Le train pour Montréal va partir bientôt.
    Ce rappel agit sur le directeur de la prison. Il fit signe aux gardiens de conduire le détenu vers le fourgon cellulaire stationné près de la porte.
    — Télesphore, non ! hurla la femme en se laissant choir sur le sol.

    Deux matrones l’aidèrent à se relever, pour la conduire ensuite vers sa cellule. Les spectateurs médusés furent ébranlés par cette scène.
    — Monsieur Fitzpatrick, déclara bientôt le stagiaire, comme convenu, je vais aller reconduire ma sœur à la maison. Je reviendrai au bureau en matinée.
    — Bien sûr. Mademoiselle.
    Elle accepta la main tendue, puis fut heureuse de retrouver l’air libre.

    *****
    Chemin faisant, Mathieu s’arrêta au Château Frontenac afin de déjeuner. Après avoir commandé son repas, Thalie commenta :
    — Tu avais raison, ton patron semble un homme bien.
    — Oui. Toutefois, nous allons nous quitter bientôt.
    — C’est vrai, après les assises criminelles, le

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