Mathieu et l'affaire Aurore

termes...
    — Je vous demande de retourner dans la salle de délibération et de reprendre le vote.
    Penauds, les douze hommes quittèrent de nouveau la salle d’audience. Les spectateurs, les employés du tribunal et les avocats se regardèrent sans rien dire.
    — Ce n’est pas la première fois, commenta le greffier Pouliot. Il y a dix ans, lors du procès de Dickson...
    L’employé marqua une pause, avant d’ajouter:
    — Je me demande comment ils se sont débrouillés pour discuter dans les deux langues.
    Évidemment, ce genre de quiproquo devait parfois survenir. On demandait à des hommes souvent peu scolarisés de jouer un rôle essentiel à l’administration de la justice. L’attente ne dura
    pas
    plus
    de
    cinq
    minutes.
    Le
    juge
    reprit son fauteuil, un peu impatient.
    — Nous sommes d’accord, nous l’étions dès le début, expliqua Xavier Simard. Nous nous sommes trompés de terme. Homicide involontaire, ou manslaughter. Nous voulons que l’accusé soit tenu responsable de la mort de sa fille, mais pas qu’il soit pendu.
    Cette fois, en mots de tous les jours, le porte-parole traduisait clairement le verdict du jury.
    — Je vous remercie d’avoir servi la justice, commença le magistrat. Je rendrai ma sentence la semaine prochaine.
    Elle devra servir de leçon aux personnes qui seraient tentées de faire comme l’accusé.
    Dans la boîte, Télesphore Gagnon faisait entendre des sanglots bruyants. Comme sa femme, la perspective de la punition l’émouvàit plus profondément que les gémissements de douleur d’une enfant torturée.
    — Aujourd’hui, commenta le juge Déry, le prisonnier pleure de tout son cœur sur ses torts envers sa petite fille.
    «Le bonhomme pleure à la perspective de moisir en prison, et de soulagement d’avoir échappé à la corde», pensa Mathieu.
    — Qu’il accepte ce verdict avec courage et dans un véritable esprit de contrition et de repentir. Depuis le ciel, Aurore Gagnon, sa fille, lui pardonnera tout le mal dont elle a souffert.
    Les coups de maillet sur le large bureau marquèrent la fin du prêche. Le magistrat ramassa ses documents, puis quitta les lieux dans un bruissement de toge. Les agents escortèrent l’accusé hors de la salle après que celui-ci eut échangé quelques mots avec Francœur. Les jurés encore à leur place se consultaient les uns les autres du regard. Le greffier dut leur expliquer de rentrer à la maison. Leur rôle dans ce mélodrame se terminait abruptement.
    Fitzpatrick salua ses « savants confrères » une dernière fois... enfin, jusqu’à ce que le hasard des assises le remette en leur présence. Arthur Lachance fit la même chose.
    Mathieu ne se sentit pas l’obligation de les imiter.
    Le trio mettait les pieds sur le trottoir devant l'édifice majestueux, quand le substitut du procureur général s’arrêta pour dire :
    — Picard, ne revenez pas au bureau avant lundi prochain. Il vous reste encore deux examens. Après, reposez-vous un peu.
    — Je vous remercie.
    Le stagiaire accepta la main tendue, serra aussi celle de Lachance. Ils allaient le quitter quand il demanda :
    — Etes-vous satisfait de ce verdict ?
    — A votre ton, je devine que vous ne l’êtes pas.
    Le jeune homme marqua une hésitation.
    — J’aurais préféré le meurtre.
    — Les jurés aussi sans doute, ricana Fitzpatrick, mais ils ne voulaient pas le voir pendu.
    Mathieu hocha la tête. Le premier verdict traduisait bien leur position. Ils l’avaient accompagné d’un appel à la clémence.
    Toutefois, la peine capitale venait avec lui. L’homicide involontaire leur avait ensuite semblé un compromis acceptable.
    — Picard, teniez-vous tant que cela à obtenir la corde ?
    La question méritait réflexion, alors que ses aînés l’examinaient de leurs yeux curieux.
    — Non, je ne me régale pas de cadavres. Je ne souhaite même pas l’exécution de Marie-Anne Houde.
    — Là, vous me surprenez.
    — Oh ! À mes yeux, elle la mérite cent fois. Mais dans ce cas, Marie-Jeanne traînerait cela sur sa conscience pendant toute sa vie.
    Fitzpatrick approuva de la tête. La gamine ne méritait pas cela.
    — Pour elle, Francœur a-t-il fait sa demande d’appel ?

    interrogea Mathieu.
    — Pas encore.
    — Vous croyez qu’elle sera exécutée ?
    — Dans sa situation, un homme n’y échapperait pas.
    Toutefois, je ne pense pas que cette femme montera sur l’échafaud...
    L’avocat s’arrêta, puis secoua la tête.
    — Picard,