Alain
Pecunia
MATHILDE
III
ROMAN
OCTOBRE 1922 – JUILLET
1924
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pays.
1
Les circonstances qui entourèrent la mort de la duchesse
douairière de la Rable du Puy furent si singulières qu’elles
frappèrent les esprits du faubourg Saint-Germain.
Pieuse catholique, Marie-Madeleine de la Rable du Puy avait
décidé de se rendre à Rome à l’occasion de son soixante-quinzième
anniversaire pour rendre grâce au Seigneur de lui avoir accordé une
longue vie et Le supplier de ne point Se hâter de la faire accéder
en Son saint paradis.
Certes, elle aurait pu tout aussi bien Lui rendre grâce et Le
prier d’exaucer son humble supplique à Saint-Thomas ou
Sainte-Clotilde, mais sa vieille amie et rivale la duchesse
douairière de Montevaux de la Passette avait entrepris le saint
pèlerinage de Rome au début septembre et avait été reçue par le
saint père. Depuis, celle-ci ne cessait de rebattre les oreilles de
ses relations de la chance qu’elle aurait eue de rencontrer quatre
papes au cours de son existence (quatre papes de son vivant) – Léon
XIII, Pie X, Benoît XV et Pie XI, l’actuel souverain pontife
élu au début de cette année 1922, le 6 février.
– Tout comme vous, vous voyez, ma chère, avait-elle lâché,
entre deux gorgées de cordial, à la duchesse douairière de la Rable
du Puy sur le ton du chasseur qui est enfin parvenu à égaler le
tableau de son éternel rival.
Ce qui était l’exacte vérité puisque, si la duchesse douairière
de la Rable du Puy n’avait pas rencontré le nouveau pape, elle
avait eu l’honneur d’avoir été reçue par Pie IX en 1872, ainsi que
par Léon XIII en 1890, Pie X en 1905 et Benoît XV en 1916. Mais,
fidèle à la devise des De la Rable du Puy : « Ne me dame
mon rang qui veut », la duchesse douairière mûrit de donner
une leçon à cette Benoîte de Montevaux de la Passette afin de lui
rabaisser définitivement le caquet sur ce point de préséance.
Elle décida donc de se rendre à Rome sans plus tarder afin d’y
décrocher un cinquième trophée papal.
En moins de quinze jours, l’un des siens cousins, le cardinal de
la Rable de la Chatterie, lui obtint une audience auprès du saint
père. La date en fut fixée au 28 octobre.
Évidemment, la duchesse douairière s’empressa de faire part à
son entourage de ce bienheureux événement, ne pouvant différer à
son retour la satisfaction de goûter à sa victoire sur sa rivale en
saintetés.
Ce qui se révéla être une sage précaution, car la duchesse
douairière de la Rable du Puy devait mourir ce même 28 octobre
1922, alors que, dans les plus béates dispositions de l’âme, elle
se rendait à son rendez-vous papal.
Étant donné l’ambiance des plus tumultueuses qui régnait ce
jour-là à Rome, les circonstances de la mort de la duchesse
douairière ne furent pas relatées par la presse Italienne, et les
agences de presse Havas et Reuter se contentèrent de mentionner le
décès de la duchesse douairière de la Rable du Puy alors qu’elle
séjournait dans la capitale romaine, sans plus.
Pourtant, lesdites circonstances méritaient que l’on s’y arrêtât
et, n’eût été le témoignage de son petit-fils qui fut le seul à
réchapper à l’odieuse agression dont ils furent l’objet, nul n’en
aurait jamais rien su. Du moins dans les salons du Faubourg, car,
si un étrange silence devait entourer l’événement, celui-ci eut
néanmoins de nombreux spectateurs. Mais, ainsi que devait le
rapporter Louis-Marie de la Rable du Puy, son petit-fils qui était
à ses côtés ce jour-là en compagnie du cardinal de la Rable de la
Chatterie, ce n’étaient là que gens de peu et dont ils n’eurent
d’ailleurs à attendre aucun secours tant ils donnèrent l’impression
d’être de mèche avec les vils agresseurs.
Mais revenons aux faits de la façon la plus précise qui
soit.
Ce matin-là, un samedi, il pleuvait à verse sur Rome et la
duchesse douairière, qui s’était réveillée en retard, était de fort
méchante humeur car aucune de ses deux femmes de chambre ne
parvenait à mettre la main sur son coffret