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Mathilde - III

Titel: Mathilde - III Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Pecunia
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agitant, par habitude,
son moignon sous le nez du curé. Quand on se faisait marmiter ou
étriper, on l’a pas tellement vu s’indigner et manifester son amour
et sa charité. Votre bon Dieu, il a rien empêché de tout ça !
dit-il en s’enflammant et en tendant son moignon vers le monument
aux morts.
    La bouilloire du père Gaston émit un tel sifflotement que le
prêtre battit en retraite, mais, dans sa marche à reculons, s’il
évita de justesse Mme de La Joyette qui s’en retournait avec ses
filles et son neveu, il vint buter contre la vieille Épiphanie qui
s’en revenait de faire brouter sa vieille bique.
    Le curé sursauta de frayeur et, si les femmes se contentèrent de
pouffer, les paysans rirent de bon cœur.
    – Arrière, sorcière ! s’écria-t-il en brandissant d’une
main son missel et de l’autre son crucifix.
    Sans se démonter, car elle ne craignait ni Dieu ni diable,
l’Épiphanie dévisagea effrontément le prêtre en haussant les
épaules et jeta:
    – Pourrait au moins s’excuser de m’avoir bousculé,
çui-là !
    Un silence religieux se fit aussitôt. Chacun retint son souffle
et seul un étranger de passage eût misé sur les chances du prêtre
de remporter cet énième affrontement entre lui et la rebouteuse.
D’ailleurs les bras du prêtre commençaient déjà de trembler et ils
allaient bientôt fléchir.
    – Va-t’en, diablesse ! cria-t-il en une ultime tentative
sous le regard goguenard des villageois.
    Le prêtre en eût pleuré, si sa foi n’avait été aussi grande,
tant il se sentait seul chaque foi que cette bougresse le défiait
publiquement. Mais il ne savait que trop que la plupart de ses
ouailles étaient sous l’emprise de cette créature de Satan et il
était de son devoir de l’affronter, convaincu qu’un jour le Christ
tout-puissant surgirait à ses côtés pour la foudroyer sous les yeux
de tous. Le triomphe du Seigneur n’en serait que plus grand
alors.
    Empli de ce fol espoir, il plaqua missel et christ contre sa
poitrine et, dédaigneux, passa son chemin roide comme un piquet
pour rejoindre sa cure.
    La vieille Épiphanie tapota la tête de sa chèvre et cracha un
jet noirâtre de chique.
    Elle avait encore gagné ! Mais, si l’ancien curé avait
failli remporter ce combat immémorial, c’était pas le petit nouveau
qui allait lui donner du fil à retordre et elle en regrettait
presque ses joutes passées. Avec le père Auguste, l’ancien curé,
c’était un combat d’égal à égal car il avait reçu les
« dons » de sa mère qui était née dans le Boischaut. Une
bien pauvre femme qui avait vu son aîné choisir la prêtrise et
trahir par là la lignée de sorciers berrichons dont il était
issu.
    Elle avait fini par en mourir de honte et de chagrin.
    La vieille Épiphanie recracha un jet de chique rien que d’y
penser et soupira en constatant que les villageois lui avaient déjà
tourné le dos tant ils la craignaient et la respectaient à la fois.
Mais elle les retrouverait bien plus rapidement que le curé. Lui,
ils en avaient besoin pour les sacrements et le pardon de leurs
fautes, tandis que, elle, la
sorcière,
c’était quasiment
au quotidien, pour guérir bêtes et gens ou leur remettre un membre
démis, et, surtout, pour dénouer les sorts dont ils étaient ou se
croyaient victimes.
    – Moi aussi, je guéris les âmes, et j’en fais pas toute une
histoire, marmonna-t-elle en tirant la corde de sa vieille bique
pour la faire avancer.
    Alors que le beau-frère de Mme de La Joyette la rejoignait après
s’être attardé auprès d’un de ses métayers, la vieille Épiphanie
l’apostropha.
    – C’était-y une belle cérémonie ?
    Gustave Bouteux haussa les épaules en faisant une moue
entendue.
    Mathilde haussa également les épaules.
    – Tout compte fait, dit-elle en s’éloignant, c’est tout aussi
bien que mon gars y soit pas…
    – Il est dans votre cœur et dans le nôtre, dit Mme de La
Joyette. Comme tous nos morts.
    La vieille Épiphanie tressaillit mais ne se retourna pas. Elle
poursuivit son chemin en laissant rouler ses larmes sur ses joues
toutes fripées comme de vieilles pommes d’Api oubliées dans un coin
de grenier, tout en pestant contre Émilie, sa chèvre, qui traînait
la patte.
    Elle disait toujours « mon gars », mais elle était en
fait sa grand-mère et l’avait élevé lorsque sa fille était morte
après avoir reçu une ruade d’âne dans le bas-ventre et que son
gendre était monté

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