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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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conversation. À son tour, il fit un rictus, que Villeneuve interpréta comme de la compassion.
    – Alors, jeune homme, ce sont les grandes vacances?
    Jan ressentit un choc de plaisir. Il pouvait enfin parler de son herbier et demander des feuilles d’érable à Villeneuve. Il allait répondre quand la porte d’entrée s’ouvrit. Jerzy pénétra dans la salle à manger l’aircontrit et désolé. Il alla immédiatement serrer la main de Villeneuve en s’excusant de son retard, embrassa celle de sa mère et demanda pardon à son père pour son impolitesse.
    – Où étais-tu?
    Jerzy s’assit rapidement, installa sa serviette de table avant de répondre qu’il était au
Caveau de Michel
. Tomasz parut s’en offusquer.
    – Tu n’as pas l’âge d’entrer dans les bistrots.
    – J’étais avec des professeurs et je n’ai rien bu. Tomasz haussa les épaules et se détendit. Il savait que son fils avait probablement fêté la fin des classes et son départ de la ville. Il demanda à Zofia d’apporter un verre de vin pour Jerzy qui rougit de fierté devant la marque de confiance. Jan pensa à son herbier et soupira. Le père Villeneuve semblait avoir complètement oublié qu’il lui avait posé une question.
    – Alors, jeune homme, tu pars pour Wezerow?
    Villeneuve avait la manie de les appeler «jeune homme» ou «jeune fille». Jan piqua sa fourchette tandis que Jerzy avalait une gorgée de vin. Ce dernier regarda son père, l’œil interrogateur, et Tomasz, d’un hochement de tête, l’autorisa à répondre.
    – Demain matin. Mon père a toujours eu pour principe qu’il faut savoir travailler des mains aussi bien que de la tête.
    – C’est très bien, jeune homme. Et tu vas t’occuper des potagers?
    – C’est ça. Ceux de M. Jacek. Chaque été, je sème, plante, sarcle et joue du violon avec lui.
    – M. Jacek était mon professeur de violon. Il m’a aussi appris comment enseigner l’amour de la musique. Un homme tellement admirable que Tomasz et moiavons toujours conservé un lien d’amitié avec lui et sa femme.
    Zofia parla avec tendresse de M. Jacek Porowski pendant que Jerzy approuvait tout ce qu’elle disait.
    – J’ai pensé à toi, papa, ce soir, au
Caveau
.
    – Vraiment?
    – Je veux bien croire qu’il faut un esprit sain dans un corps sain, mais je trouve que certains de mes confrères ont un esprit de plus en plus malsain.
    Tomasz regarda Villeneuve d’un air amusé, intrigué par les propos de son fils.
    – Malsain?
    – Si tu les entendais! Je sais qu’il y en a au moins deux qui trouvent que Hitler est le maître dont l’Allemagne a besoin pour épurer la race aryenne...
    – Dieu leur pardonne!
    Villeneuve était vraiment scandalisé des propos qu’il venait d’entendre. Tomasz, lui, enleva ses lunettes et mit beaucoup de temps à les essuyer.
    – Je connais ce raisonnement. J’espère que tu n’es pas un de ces deux-là.
    – Comment peux-tu penser ça, papa? Je réagis tellement contre ce qu’ils disent qu’ils me traitent de tous les noms.
    Jerzy s’arrêta pour mastiquer et vit qu’il avait réussi à les intéresser. Il leur demanda d’un air moqueur s’ils pouvaient deviner de quel surnom on l’affublait. Tomasz proposa «cul-terreux», Zofia, «trouble-fête», et Villeneuve, «hérétique». Jerzy avala sa bouchée et annonça avec fierté qu’on le traitait de Polonais! Tomasz secoua la tête.
    – J’imagine qu’ils parlent des Polonais comme s’ils n’en étaient pas.
    – Exactement. Ils parlent français le plus souvent possible et citent des vers de Lamartine.
    Jerzy se leva de table et, mimant l’allure de ses collègues, récita quelques vers du poète
    Que t’importe après tout que cet ordre barbare
T’enchaîne loin des bords qui furent ton berceau?
    Tomasz hocha la tête. La candeur des dix-sept ans de son fils le laissait à la fois étonné et incrédule. Aussi poursuivit-il tristement avec Jerzy, sans arrière-pensée, la dernière phrase:
    Que t’importe en quels lieux le destin te prépare
Un glorieux tombeau?
    Jan et Élisabeth s’amusèrent du court duo improvisé alors que Villeneuve et Zofia se jetaient des regards inquiets. Jerzy, qui n’avait pas saisi le tourment de son père, retourna s’asseoir et continua à parler de ses confrères.
    – Ils sont quand même très généreux. Ils me pardonnent mon insignifiance non seulement parce que je suis le fils d’un professeur de l’université de Cracovie, qu’ils

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