Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
I - LA MAISON DE JEAN-BAPTISTE SANSON
Les drames qui viennent de se dérouler et que je voulais présenter avec un certain enchaînement m’ont forcé de suspendre ce qui est relatif à l’histoire de ma famille, et offre sans doute beaucoup moins d’intérêt pour le lecteur. Cependant, comme il me paraît utile que cette autobiographie sans précédent soit aussi com plète que possible, on me permettra bien de revenir à quelques tableaux de mœurs intimes, à quelques détails certainement nouveaux sur l’intérieur d’une de ces maisons d’exécuteur dont le passant s’écarte avec horreur ? indignation et en fulminant un anathème.
Le compte-rendu que je viens de donner du singulier procès qui se dénoua ou plutôt qui ne se dénoua pas devant le Parlement, était, du reste, un acheminement à ce retour vers les narrations du foyer domestique.
Je crois avoir tracé une image assez fidèle de Marthe Dubut, veuve de Charles Sanson II, et à qui Dieu accorda une longévité assez grande pour voir se multiplier autour d’elle les générations de cette race, que son initiative avait maintenue dans l’exercice d’un si terrible ministère et l’accomplissement de si cruels devoirs. Mais peut-être n’ai-je pas fait suffisamment connaître Charles-Jean-Baptiste Sanson, son fils, qui fut à son tour la souche de cette nombreuse lignée que nous avons vue se répandre dans plusieurs villes de France pour y remplir un emploi qui semblait être devenu la prédestination de tous ceux qui portaient notre nom. Je laisserai néanmoins de côté MM. de Tours, de Provins, de Reims, etc., pour ne m’occuper que de Monsieur de Paris, chef de la famille et le plus important à tous égards de ces tristes fonctionnaires. La maison de l’exécuteur de Paris a toujours eu un rang hors ligne parmi celles du même genre ; c’était une sorte de métropole dont les exécuteurs de province se considéraient pour ainsi dire comme suffragants. Je ne parie pas seulement des occasions si fréquentes dans lesquelles nous étions appelés en différentes villes pour diriger une exécution, alors même que nous n’avions pas la douleur d’y procéder en personne ; des avis et indications qui nous étaient à chaque instant demandés et de la correspondance suivie qu’il nous fallait entretenir à ce sujet ; j’ajouterai encore que la plupart de nos confrères des départements nous envoyaient celui de leurs fils pour lequel ils se flattaient d’obtenir la survivance, avec prière de le recevoir comme aide pendant un certain temps afin de l’instruire dans notre sanglante profession. Nous avons rarement refusé d’accéder à cette prière, et nous ouvrions les portes de notre maison comme celles d’une espèce de lycée à ces jeunes stagiaires qui s’asseyaient à notre table pendant toute la durée de leur pénible noviciat.
En se rappelant combien la famille de Charles-Jean-Baptiste Sanson était nombreuse, on peut se faire une idée du grand couvert qui se dressait à l’heure du repas dans la salle à manger de l’hôtel de la rue des Poissonniers. Marthe Dubut disait le Bénédicité et les Grâces, et, si j’en crois les souvenirs que la tradition nous a transmis, bien que la table fût abondamment fournie, l’ordre le plus parfait et le maintien le plus convenable ne cessaient de régner parmi les convives.
Charles-Jean-Baptiste Sanson avait entièrement hérité des singulières idées et des bizarres sentiments de sa mère ; tous deux imposaient considérablement à leurs propres enfants comme aux étrangers qui avaient trouvé sous leur toit une hospitalité presque paternelle. La vie de Charles-Jean-Baptiste était d’ailleurs fort active, fort occupée, et laissait peu de place à ces distractions dans lesquelles les caractères les plus sombres et les plus taciturnes se détendent et permettent une certaine familiarité. Il s’adonnait avec passion aux études anatomiques que Sanson de Longval avait inaugurées, en tirait chaque jour de nouvelles inductions qu’il essayait de mettre à profit en étudiant simultanément la botanique et les propriétés des plantes sous les rapports hygiéniques et pharmaceutiques. Il est incontestablement celui de mes ancêtres qui a poussé le plus loin ces intéressants travaux. Le formulaire de recettes contre diverses maladies ou infirmités que nous avons toujours employé, et souvent avec succès, lorsqu’on venait réclamer nos soins,
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