Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
est presque entièrement écrit de sa main. Je le conserve ainsi que le firent mon père et mon aïeul, prêt, comme eux, à le consulter à l’appel de quiconque souffre, et heureux de pouvoir consacrer au soulagement et à la prolongation de l’existence de mes semblables, des secrets rapportés en quelque sorte de l’empire de la mort.
Charles-Jean-Baptiste Sanson était toujours levé de grand matin. Après une légère collation, il allait entendre une messe basse à Saint-Laurent et rentrait ensuite chez lui, où il recevait journellement un certain nombre de malades qu’il traitait suivant leur état et leur fortune. Le riche payait chèrement, je dois l’avouer, mais le pauvre avait les soins et les remèdes gratuitement. Ces consultations menaient souvent jusqu’au dîner, qui avait lieu à une heure après-midi. Après le dîner on faisait un tour de promenade qui durait une heure environ dans le jardin ; puis mon bisaïeul se retirait dans son laboratoire, où il préparait ses médicaments ou poursuivait ses études, selon les besoins du moment.
Lorsque le jour baissait, en attendant le souper qu’on ne servait qu’à huit heures, il allait s’asseoir et prendre le frais sur le seuil de sa porte, comme cela se fait encore souvent dans les petites villes et même dans les pauvres quartiers de Paris. Il y essuyait bien quelques regards courroucés de ceux qui ne le connaissaient que par son emploi ; mais il trouvait une ample compensation à ces témoignages de dédain et d’animadversion dans les salutations et les hommages de cette foule de pauvres et de malades qui recevaient toujours dans sa maison une assistance charitable. Il n’était aucun de ces malheureux qui passât devant lui sans ôter respectueusement son chapeau et lui souhaiter le repos d’une bonne nuit. Cette gratitude de ceux qui souffraient, de ceux qui sont, dit-on, les privilégiés du Christ, le consolait du mépris des heureux de la terre.
On ne s’est jamais rendu compte du singulier phénomène psychologique qui a permis à beaucoup d’entre nous d’allier un emploi qui, pour moi, je l’avoue, m’a toujours pénétré d’une indicible horreur, à la pratique des plus belles et des plus solides vertus. J’en pourrais citer de nombreux exemples ; mais je me bornerai, quant à présent, à celui de l’exécuteur Gasnier, de Rennes, qui était dans tout le ressort de sa juridiction la providence des indigents et s’était acquis une telle considération, que les membres du Parlement venaient, à la sortie des audiences, se promener dans le jardin de son habitation, ne dédaignaient point de le consulter dans des affaires difficiles, et terminaient souvent ces visites, toutes amicales, par une partie de mail à laquelle ils le conviaient de prendre part. Je puis revendiquer ici pour ceux qui m’ont légué les cruelles fonctions que j’ai exercées, sinon des témoignages aussi flatteurs d’estime et de sympathie, du moins une conduite qui les méritait. Les relations entre la magistrature et l’exécuteur ont toujours été moins directes à Paris qu’en province, et depuis la Révolution surtout, elles n’ont cessé de s’affaiblir. Il n’a donc jamais été donné aux membres du Parlement, et plus tard de la Cour de Paris, de connaître la valeur morale de cette famille, qui, au bas de l’échelle judiciaire, complétait leur action et se transmettait héréditairement un office dont notre législation pénale s’obstine à faire la dernière et la plus solennelle expression de la justice. Mais on peut interroger les souvenirs que tous les miens ont laissés autour des lieux qu’ils ont habités, et partout une voix unanime s’élèvera pour attester les vertus dont ils ont donné l’exemple et surtout cette charité inépuisable qui ne les vit jamais sourds à la prière de l’affligé. Malgré la réprobation attachée à leurs fonctions, chaque fois qu’un d’entre eux a quitté cette terre, il ne s’est acheminé vers le lieu de l’éternel repos qu’accompagné d’un nombreux cortège : celui des infortunes qu’il avait secourues ou consolées. C’est un tableau pareil qui eût séché mes larmes, si cela eût été possible, lorsque j’ai eu la douleur moi-même de conduire mon pauvre père à sa dernière demeure. On se rappelle sans doute la lettre qui me fut écrite à cette occasion et que j’ai publiée dans le premier volume de ces Mémoires. Les termes si honorables
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