Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
inutile, répondit-il, on peut en finir comme je suis.
Mon frère insiste et ajoute qu’il est indispensable aussi qu’on lui lie les mains.
Cette dernière condition paraît le révolter encore davantage et fait monter le rouge à son front.
— Eh quoi ! dit-il, vous oseriez porter la main sur moi. Tenez, voici mon habit, mais ne me touchez pas !
En disant cela, il ôte lui-même son habit. Charlemagne vient en aide à Martin, et fort en peine de parler à cette illustre victime avec les égards qui débordent de son cœur, sans offusquer ces hordes farouches qui entourent l’échafaud, il lui dit d’un ton froid, mais sous lequel on devine des larmes.
— C’est absolument nécessaire. L’exécution est impossible sans cela.
Rappelé enfin à mon rôle et n’en pouvant laisser supporter plus longtemps le poids à mes frères, je me penche à l’oreille du prêtre :
— Monsieur l’abbé, lui dis-je, obtenez cela du roi, je vous en supplie. Pendant qu’on lui liera les mains, nous gagnerons du temps, et il est impossible qu’un pareil spectacle ne finisse point par, émouvoir les entrailles de ce peuple.
L’abbé se retourna vers moi avec un triste regard dans lequel se peignaient à la fois l’é tonnement, l’incrédulité et la résignation, puis s’adressant au roi :
— Sire, dit-il, résignez-vous à ce dernier sacrifice par lequel vous ressemblerez davantage au Dieu qui va vous en récompenser.
Aussitôt il présenta lui-même ses bras pendant que son confesseur lui faisait embrasser l’image du Christ. Deux aides lièrent ces mains qui avaient porté le sceptre. Il me semblait que ce devait être le signal de la réaction qui ne pouvait manquer d’éclater en faveur de cette touchante victime : rien que le roulement infernal des tambours.
Le roi, soutenu par le digne prêtre, monta lentement et avec majesté les degrés de l’échafaud.
— Est-ce que les tambours ne vont pas cesser, demande-t-il à Charlemagne.
Celui-ci lui fait signe qu’il n’en sait rien. Arrivé sur la plate-forme, il s’avança du côté où il paraissait y avoir le plus de peuple, et fit de la tête un mouvement impératif aux tambours qui suspendirent un instant, et comme malgré eux, leur roulement.
— Français,. dit-il d’une voix forte, vous voyez votre roi prêt à mourir pour vous. Puisse mon sang cimenter votre bonheur. Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse.
Il allait peut-être continuer, lorsque Santerre qui était à la tête de son état-major, fit un signe aux tambours dont les roulements recommencèrent de suite et n’auraient plus permis de l’entendre.
En un instant il fut attaché sur la planche, fatale, et au moment où le couteau glissait sur sa tête, il put encore entendre la voix grave du pieux ecclésiastique qui l’avait accompagné jusque sur l’échafaud, prononcer ces mots :
« Fils de saint Louis, montez au ciel ! »
Ainsi a fini ce malheureux prince, qu’un millier d’hommes résolus auraient pu sauver à ce dernier moment où, hors parmi la soldatesque, il commençait d’exciter une véritable compassion ; et réellement je n’ai pas compris après tous les avis que j’avais reçus hier, qu’il ait été si cruellement abandonné. Le moindre signal eût suffi pour amener une diversion en sa faveur, car, si lorsque mon aide Gros montra cette auguste tête aux assistants, quelques forcenés poussèrent des cris de triomphe, la majeure partie se détourna avec une profonde horreur et un douloureux frémissement. »
Tel est le récit que mon grand-père nous a laissé de la mort de Louis XVI ; il est conforme, du reste, à la lettre qu’il eut le courage d’écrire au Thermomètre du jour pour rectifier les allégations erronées de cette feuille, qui ne respectait même pas un pareil mort dans sa tombe. Cette lettre est trop connue pour qu’il soit besoin de la reproduire ici.
La relation que je viens de donner diffère beaucoup, par exemple, de celle de M. de Lamartine dans l’ Histoire des Girondins ; mais, quelle que soit l’autorité de l’éminent écrivain, elle ne pourrait rivaliser pour l’exactitude avec celle de l’homme qui a eu le malheur de prendre une part si active à ce douloureux événement.
Il lui a plu de faire tutoyer le roi au pied de l’échafaud par mon grand-père ou un de ses frères, de les représenter comme levant la main et prêts à excercer d’indignes violences sur
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