Meurtres dans le sanctuaire
portaient à leur toque de castor. Quelques épouses de notables en avaient même piqué dans leurs cheveux.
En grimpant les marches du Guildhall, Kathryn et Thomasina furent bousculées par des soldats du roi qui sortaient du bâtiment chargés de coffres pleins de documents. En même temps, un héraut clouait sur la porte une liste de proscrits que le roi considérait comme des traîtres.
À peine les deux femmes avaient-elles pénétré dans la pénombre du bâtiment puant le moisi qu’un sergent du roi les apostropha, un homme avec un vilain coquard sous l’oeil droit et une plaie suppurante à la main gauche.
— Que cherchez-vous ? demanda-t-il brutalement.
Plus loin dans le couloir, des soldats, entendant le ton de sa voix, approchèrent, dans l’espoir d’assister à une escarmouche.
— Je suis apothicaire et médecin, expliqua Kathryn, le magistrat Newington a demandé à me voir.
Elle avala sa salive pour dissimuler sa nervosité avant de reprendre à l’adresse du soldat :
— Vous avez l’air mal en point.
Sur quoi, elle prit la main blessée de l’homme et la retourna avec précaution pour l’examiner. Surpris, le sergent se laissa faire, docile comme un enfant.
— Cela me fait mal, murmura-t-il.
— Vous allez souffrir davantage encore, répliqua Kathryn, et si l’infection gagne, vous perdrez la main.
— Que puis-je y faire ?
— Nettoyez la plaie avec de l’eau chaude mélangée d’un peu de sel et d’un soupçon de vin coupé de vinaigre. Vous crierez de douleur, mais au moins vous sauverez votre main. Recouvrez la blessure d’un bandage et recommencez le traitement deux fois par jour.
— Êtes-vous sûre de ce que vous dites ? demanda le soldat, arrachant la lettre que tenait Kathryn.
Tenant la missive à l’envers, il fit semblant de la lire.
Kathryn poursuivit :
— Je m’appelle Swinbrooke, et j’habite dans Ottemelle Lane. Si la plaie à votre main ne cicatrise pas d’ici à trois jours, venez me voir.
Le soldat la gratifia d’un sourire édenté, tandis que ses yeux ternes reprenaient vie.
— Pour sûr, je le ferai, Maîtresse.
— Garde tes pensées lubriques pour toi ! intervint alors Thomasina. Maîtresse Swinbrooke est apothicaire et docteur, pas une fille de camp.
Le soldat posa sur la servante un regard paillard.
— C’est après toi que j’en veux, déclara-t-il, taquin. J’aime les femmes bien grasses. Au moins on sait où se tenir quand ça commence à chauffer !
— Et moi je n’aime pas les maigrelets ! riposta Thomasina avec aigreur. T’es guère plus gros qu’une crotte de nez, et pas plus appétissant.
Le soldat éclata de rire, rejetant la tête en arrière.
— Ah, je les aime effrontées comme toi, les femmes ! s’exclama-t-il.
— Oliver, prends garde ! cria alors l’un de ses compagnons. L’Irlandais attend ces deux dames.
Le sergent se calma aussitôt et recula d’un pas, disant :
— Merci, Maîtresse. Hâtez-vous, maintenant. Au bout du couloir, parmi une petite assemblée de clercs apeurés, de bourgeois craintifs et de soldats vociférants, Kathryn découvrit John Abchurch, le magistrat de son quartier. Elle le héla :
— Monsieur, pouvez-vous m’aider ? Le petit homme replet se tourna.
— MaîtresseSwinbrooke,s’exclama-t-il, vous ne devriez pas vous trouver ici !
Il resserra plus étroitement les pans de son manteau doublé de laine et s’approcha.
— Nous vivons des temps troublés. Dire que Faunte, Dieu le maudisse, a soutenu la maison de Lancastre !
— Que va-t-il arriver ?
— Faunte aura la tête tranchée à moins que ce ne soit les couilles. Sans doute les deux, et la ville devra payer une amende. Enfin... Abchurch s’humecta les lèvres et demanda :
— Que faites-vous ici, Maîtresse
Swinbrooke ?
— Le magistrat Newington a demandé à me voir.
— Dans ce cas, suivez-moi.
Heureux d’échapper à la cohue, Abchurch conduisit les deux femmes à l’étage, et tous trois suivirent un long couloir silencieux et désert jusqu’à une imposante porte renforcée par une barre de fer. Le magistrat frappa.
— Entrez !
Abchurch détala comme un lapin au moment où Kathryn ouvrait la porte pour pénétrer dans une salle fraîche. Le soleil s’y déversait à flots par les fenêtres aux volets ouverts, et Kathryn cligna des yeux après la pénombre du couloir. Son père l’avait menée ici, des années plus tôt, elle s’en souvenait.
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