Meurtres Sur Le Palatin
glaive, ni la conviction que
l'armée avait besoin d'hommes tels que lui, "des vrais !", pour ne
pas sombrer dans la décadence douceâtre qui était (jurait-il à qui voulait
l'entendre) "ce qui pendait au museau de ce fichu empire dirigé par un
bouquet de pâquerettes corrompues et perverties !" C'est ainsi qu'il
considérait la nouvelle classe patricienne dirigeante, pour qui le stoïcisme
républicain prêché et glorifié par les générations précédentes n'était plus
qu'un vague concept éculé et dépassé.
-
Ce genre d'homme ne doit pas être facile à surprendre ou à maîtriser, nota
Mustella. Encore moins à entraîner dans une venelle ténébreuse en pleine nuit
pour être volé ou assassiné.
-
Poignardé à douze reprises au moins, soupira Kaeso d'une voix lugubre en passant
une grande main élégante dans ses courts cheveux blonds.
-
Et pas proprement, ajouta Matticus avec une grimace en tâtant la bouillie de
chair sanglante que laissait apparaître la tunique lacérée. C'est pas des gars
du métier qui ont fait ça, centurion. C'est certain.
-
Où est ton maître ? demanda l'officier à l'esclave.
Celui-ci
s'inclina obséquieusement et hocha la tête.
-
Il préfère rester à l'intérieur, centurion, répondit-il avec un fort accent
oriental. Savoir qu'on a retrouvé un cadavre sur le seuil de sa maison l'a
fortement incommodé.
Mustella
leva les yeux au ciel et, tordant son nez piqué de taches de rousseur, échangea
un regard entendu avec Matticus.
-
"Incommodé"..., railla ce dernier, trop bas pour que le nubien puisse
entendre. Je t'en ficherai, moi, de l' incommodation ...
Son
jeune compagnon pouffa mais se mordit la langue pour contenir un sarcasme.
-
Je veux le voir, ordonna Kaeso. Maintenant ! insista-t-il avec rudesse en
voyant le serviteur secouer la tête et ouvrir la bouche pour protester.
Io
gronda dans sa direction et, comprenant qu'il ne servait à rien de tergiverser,
l'esclave disparut aussitôt par la porte, laissant le battant ouvert.
Le
grand prétorien en profita pour risquer un coup d'oeil indiscret.
L'entrée
de service devant laquelle ils se trouvaient donnait directement dans le petit
jardin de la riche demeure. Il était illuminé de dizaines de lampions posés au
pied de chaque colonne du péristyle qui le bordaient.
Un
tel gâchis d'huile dans un endroit désert avait de quoi surprendre. Mais moins,
toutefois, que les bouquets de tournesols et de branches de laurier noués
d'étoffes vaporeuses et accrochés un peu partout sur les arbres.
Io
fit le tour du cadavre pour renifler l'air du jardin et éternua, gênée par le
fort parfum d'encens qui flottait.
-
C'est quoi, cet endroit bizarre ? s'enquit le jeune officier en désignant du
menton les soieries arachnéennes que soulevait la brise nocturne et les
coupelles d'encens fumantes. Un bordel de luxe ?
Mustella
ricana et Kaeso haussa les épaules en retournant précautionneusement le cadavre
sur le dos pour pouvoir l'examiner plus à son aise.
-
Eh bien..., soupira Matticus en découvrant d'autres coups de couteau dans le
dos et les reins. Maintenant, je sais à quoi devait ressembler le grand Jules
après la curée. Tu parles d'une boucherie... Il en faut, de la rage, pour
arranger un gars comme ça !
Mustella
fit la moue, écoeuré, et commença sérieusement à regretter de s'être laissé
emporter par un enthousiasme quelque peu morbide en apprenant le méfait.
Lorsque
l'esclave s'était présenté à la caserne en pleine nuit pour annoncer qu'un
homme avait été assassiné dans "la maison d'Apollon", Mustella, ravi
qu'il se passe enfin quelque chose de "vraiment croustillant" sur
cette "fichue colline palatine", avait littéralement bondi en
direction des quartiers de son chef pour le tirer du lit.
Dans
sa soif d'aventure, il avait bien sûr imaginé le pire, mais aussi le plus
excitant, à savoir que le temple d'Apollon, l'un des endroits les plus sacrés
de Rome, avait été souillé par un meurtre de sang-froid mais... non.
"La
maison d'Apollon " était en fait une résidence privée sur le Palatin,
l'une des plus anciennes, au demeurant.
Kaeso,
las de voir les habitants de la petite colline faire appel aux prétoriens impériaux
pour un oui ou pour un non, lui avait servi une bordée de jurons en germain,
comme seul un Romain charriant dans ses veines une bonne moitié de sang barbare
pouvait le faire...
-
Une affaire privée, avait rugi le jeune colosse, fût-ce un meurtre sanglant,
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