Meurtres Sur Le Palatin
1.
Se
réveiller...
Il
devait à tout prix se réveiller.
Lutter
contre cette langueur qui menaçait de l'engloutir. Lutter contre la drogue qui
se répandait dans ses veines et engourdissait chacun de ses muscles...
Lutter...
Lutter...
Lutter...
La
sensation désagréable de deux petites mains glacées sur son front et le
vrombissement étouffé des rires et des discussions animées du banquet, qui lui
parviennent depuis l'extrémité opposée de la demeure.
"Avec
ça..., disait la voix douce, qu'il lui semblait entendre comme à travers un
tampon de laine. Il devrait dormir comme un nourrisson pendant un bon
moment."
À
peine le temps de saisir le sens de ces mots qu'il sent déjà des bras énormes
se glisser doucement derrière sa nuque et le creux de ses genoux.
Son
grand corps athlétique est soulevé avec une facilité déconcertante et une
douceur forcée, presque agressive. Impossible de distinguer un visage, son
champ de vision se réduisant à des ombres piquées de rares taches de couleur
mouvantes.
Puis
vient l'étrange sensation de léviter à plusieurs pouces du sol alors que l'on
monte prudemment l'escalier qui mène du rez-de-chaussée aux pièces du premier
étage.
"Attention
à sa tête..."
"Il
est froid comme un cadavre, c'est normal ?"
"Un
des effets de la potion. Sans importance."
Des
bribes de conversation et des voix qui se confondent...
La
douceur d'un oreiller frais et moelleux sous sa tête et l'odeur d'un parfum
féminin sur les draps.
Des
mains qui courent sur son corps et la caresse insoutenable du fil d'une lame
sur sa peau glacée, découpant l'étoffe de sa tunique avec un bruit de
déchirement lugubre.
La
tiédeur d'un souffle qui hérisse sa peau nue.
Ses
narines frémissent et son odorat détecte un parfum de soufre, d'essences rares
et de sexe mêlés qui flotte dans l'air, lourd et entêtant.
Un
corps brûlant se presse contre son biceps tandis qu'une main lisse ses cheveux
et caresse les courbes viriles de sa joue. Des lèvres frémissantes effleurent
sa tempe moite d'une sueur glacée...
-
Chut... Ne crains rien, Kaeso. Nous allons beaucoup nous amuser, tu vas voir.
Oui, beaucoup nous amuser...
Des
liens rêches se resserrent sur ses poignets et ses chevilles. Tirent sur ses
membres engourdis et l'écartèlent sur le lit.
Se
débattre !
Se
réveiller !
Ouvrir
les yeux et échapper à ces mains glacées avant qu'il ne soit trop tard...
Quelques
nuits plus tôt, un corps gisait sur le sol pavé d'une ruelle du Palatin.
Allongé
sur le flanc, l'homme paraissait dormir, les yeux clos et un genou replié. Sa
tête reposait sur le perron de l'entrée de service d'une imposante maison
patricienne, aux épais murs aveugles soigneusement peints, comme on en trouvait
seulement dans les quartiers les plus cossus de Rome.
Trois
prétoriens, frissonnant sous la rosée glaciale annonciatrice de l'aube,
examinaient le cadavre sous l'oeil circonspect de l'esclave de la maison, un
immense nubien à la peau aussi noire que de l'huile de pierre. À la demande de
son maître, il était allé quérir à grands cris le centurion Kaeso Concordianus
Licinus.
Ce
même Kaeso qui, accroupi sur le sol, détaillait le défunt en silence à la
faible lumière de la lampe à huile que brandissait Mustella, son jeune
ordonnance.
Io,
la femelle léopard qui tenait lieu d'animal de compagnie à l'officier et
s'éloignait rarement de son maître, s'approcha pour renifler le corps et feula.
-
Du calme, ma belle, la rassura ce dernier de sa belle voix de baryton en lui
flattant la croupe.
L'esclave,
debout près de la porte, recula instinctivement d'un pas, impressionné par les
crocs du fauve.
-
Il ne semble pas avoir plus d'une vingtaine d'années, fit remarquer Mustella en
approchant encore sa lampe. Du moins, si on ne regarde que son visage...
Il
laissa échapper un petit sifflement désagréable en désignant les nombreuses cicatrices
qui striaient les énormes bras et les cuisses puissantes du défunt.
-
Ce n'est pas le genre de trophée que l'on récolte en enfilant des perles,
ajouta le troisième soldat. Militaire ou gladiateur, je dirais.
Âgé
d'une cinquantaine d'années, brun et trapu, il répondait au surnom peu flatteur
de Matticus (1).
Second
en titre de la cohorte commandée par Kaeso Concordianus Licinus, Matticus
aurait pu prendre une confortable retraite depuis déjà longtemps, mais
n'arrivait pas à se résoudre à lâcher ni son
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