[Napoléon 1] Le chant du départ
s’est insurgé. Il est le fils de l’épouse légitime, a-t-il lancé. Napoléon n’a pas répondu, mais l’a dispensé de ce service. Il ne peut en vouloir à Eugène, bon soldat, aide de camp dévoué. Et Napoléon se refuse à ce que sa vie privée empiète sur les devoirs et les responsabilités de sa charge.
Joséphine n’a jamais réussi à le faire renoncer à ce qu’il devait faire. Comment Bellilote le pourrait-elle ?
Une femme peut éclairer ou assombrir son destin mais ce n’est pas une femme qui peut être ce destin.
Il a dû réprimer la révolte d’une partie de la population du Caire. Les hommes ont tué, saccagé, pillé, avec une furie aveugle. Il a fallu pour les réduire ouvrir le feu sur la mosquée Al Azhar. Le général Dupuy a été assassiné, l’aide de camp Sulkowski est tombé à son tour, alors qu’il effectuait une reconnaissance hors du Caire.
— Il est mort, il est heureux, lance Napoléon.
Une fureur intérieure, que seules sa pâleur et sa nervosité révèlent, l’habite.
— Je suis surtout dégoûté de Rousseau, lance-t-il. L’homme sauvage est un chien.
Près de trois cents Français ont été tués, et sans doute deux à trois mille insurgés ont péri. Il faut maintenant sévir, ordonner qu’on tranche les têtes dans la citadelle et que les corps décapités soient jetés dans le Nil, cependant que les soldats pillent et molestent, tuent.
Et il faut alors retenir le bras vengeur, s’opposer aux officiers et aux soldats qui veulent « livrer sans exception au trépas ceux dont les yeux avaient vu se replier des compagnies de Français ».
Voilà ce que demandent les troupes et qu’il faut refuser, parce qu’on ne peut seulement tenir un peuple par la terreur. Ne l’ont-ils pas compris ? Napoléon reçoit les notables au lendemain de la révolte. Ils s’agenouillent. Il les dévisage. Ces hypocrites jouent la soumission alors qu’ils ont excité le peuple à s’insurger.
— Chérifs, ulémas, orateurs des mosquées, leur dit-il ; faites bien connaître au peuple que ceux qui, de gaieté de coeur, se déclareraient mes ennemis n’auront de refuge ni dans ce monde ni dans l’autre… Heureux ceux qui, de bonne foi, sont les premiers à se mettre avec moi…
Il les fait se relever.
— Il arrivera un jour où vous serez convaincus que tout ce que j’ai fait, poursuit-il, et tout ce que j’ai ordonné, m’était inspiré par Dieu. Vous verrez alors que, même si tous les hommes se réunissaient pour s’opposer aux desseins de Dieu, ils ne pourraient empêcher l’exécution de ses arrêts, et c’est moi qu’il a chargé de cette exécution…
— Ton bras est fort et tes paroles sont de sucre, lui disent-ils.
C’est le langage qu’il doit tenir et qui ne doit pas le griser.
Et cependant, à chaque pas qu’il fait, l’Histoire est si présente qu’elle l’enivre. Il reçoit sous sa tente les marchands du Yémen, dont les caravanes vont jusqu’aux Indes. Il traite avec les Bédouins. Il se rend aux sources de Moïse, là où, des falaises du Sinaï, jaillit de l’eau douce.
Il est sur ces terres où s’est forgée la religion des hommes. Il traverse lui aussi la mer Rouge, et la marée, tout à coup, le surprend avec son escorte. Les chevaux doivent nager dans la nuit qui tombe. Ils sont comme les soldats de l’armée de Pharaon, que le flot va balayer. Mais ils atteignent enfin le rivage, dans la rumeur des vagues. Le général Caffarelli a perdu sa jambe de bois.
Napoléon s’avance sur un promotoire qui domine le flux. Voilà où sont nés les mythes. C’est là qu’il est debout, c’est ici que son destin se nourrit, ici que sa légende, peut-être, naîtra.
Sur le chemin du retour, il découvre le canal creusé par les pharaons. Il descend de cheval, le suit un long moment.
Le temps, comme le sable, ensevelit le travail des hommes, mais laisse vivante leur légende.
Il retrouve Bellilote. Il vit avec elle quelques jours de passion physique et d’oubli.
Parce qu’il sait qu’il va devoir s’éloigner et retrouver la solitude de l’action. Déjà, il laisse son imagination l’emporter. La Turquie est en guerre désormais. Ses troupes sont en Syrie et se dirigent vers l’Égypte. Il faut les arrêter. Et donc, partir à leur rencontre. Les battre, et après les routes s’ouvrent vers l’Inde ou vers Constantinople.
Mais au début du mois de février, un commerçant français, Hamelin, a
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