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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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souvenir de ces femmes le hante. Il ressent le besoin d’un corps près de lui, dans cette chaleur moite qui incite à la débauche. Des prostituées innombrables racolent aux abords du palais. Il ne réussit pas à dormir. Les aboiements des chiens lacèrent la nuit. Il a donné des ordres pourtant, afin que l’on détruise tous ces chiens qui se rassemblent en bandes. On les a, lui a-t-on rapporté, encerclés sur la grande place, abattus par dizaines, mais des centaines d’autres sont insaisissables.
    Tout à coup il a un sentiment d’impuissance, l’amertume l’envahit. Lui aussi, comme ses officiers et ses soldats, il se sent prisonnier.
    Les cheiks lui ont présenté des femmes. Il les a trouvées trop grasses, trop vieilles, masses de chair huileuse. Il s’est senti humilié. Et le souvenir de Joséphine a avivé sa colère contre elle.
    Un soir, le cheik El Bekri a poussé vers lui une jeune fille de seize ans. Il a passé des nuits avec elle. Mais qu’est-ce qu’une femme qui ne sait que subir ? Elle l’a satisfait et ennuyé. Et il s’est senti plus seul. Après quelques semaines, il l’a renvoyée. Il est ressorti en compagnie de ses aides de camp qui fréquentent le Tivoli. C’est lui, qui a voulu qu’on ouvre ce théâtre à la française. On y trouve des pistes de danse, des salles de jeu, et même une bibliothèque. Les quelques femmes qui ont suivi l’expédition y font assaut de séduction, courtisées par les officiers.
    Il s’installe à une table. Il fait du regard le tour de l’assistance. Eugène de Beauharnais et Junot lui ont parlé de cette jeune femme blonde, épouse d’un lieutenant Fourès, séduisante et gaie. Elle est là. Il la fixe durant toute la soirée. Il la veut. Elle lui est nécessaire. Elle ne cesse de se tourner vers lui. Il ressent pour la première fois depuis des mois un désir qui l’obsède et efface toute autre pensée.
    Il sait que tout le monde a remarqué son attitude. On chuchote, on montre Pauline Fourès. Il ne s’en soucie pas. Il veut. Donc, il doit obtenir.
    Il n’a aucun doute qu’elle cédera. À la façon dont elle a répondu à ses regards, il sait qu’elle est prête à lui céder. Il se renseigne. Elle a vingt ans. Elle a été modiste. Elle a suivi son mari déguisée en soldat. Ses cheveux blonds, dit-on, sont si beaux, si longs, qu’ils peuvent lui servir de manteau.
    Il dicte un ordre : « Il est ordonné au citoyen Fourès, lieutenant au 22 e  régiment de chasseurs à cheval, de partir par la première diligence de Rosette pour se rendre à Alexandrie et de s’y embarquer… Le citoyen Fourès sera porteur de dépêches qu’il n’ouvrira qu’en mer, dans lesquelles il trouvera ses instructions. »
    Ainsi agissent les rois.
    N’est-il pas devenu l’égal d’un souverain ?
     
    Elle cède. Il l’installe dans une maison proche du palais, place Ezbekieh. Il se promène avec elle en calèche. Il sait qu’on l’appelle Clioupâtre , ou « notre souveraine de l’Orient ». Il se repaît de son corps, de sa spontanéité joyeuse, de son bavardage. Elle est sa Bellilote , puisque c’est là son surnom. Et lorsque le lieutenant Fourès revient, parce que les Anglais, après avoir saisi le navire sur lequel il partait, l’ont libéré pour créer un conflit avec Napoléon, elle divorce. Il suffit d’un mot. Elle est la première femme avec qui il se conduit en maître. Il n’est plus le jeune général qu’une femme d’expérience séduisait par ses manoeuvres autant que par son charme et qui lui imposait sa loi. C’est lui, désormais, qui ordonne. Et c’est comme si Bellilote lui révélait que c’est ainsi qu’il aime être. Qu’avec les femmes aussi, il faut se conduire en conquérant. Elle le libère de cette soumission volontaire qui, durant des années, avait fait de lui le soupirant éploré de Joséphine. Fini, cela.
    Pourquoi n’épouserait-il pas Bellilote ? pense-t-il parfois. Car il va divorcer de Joséphine. Il ressent pour elle de la rancune. C’est finalement si simple, si gai d’aimer une femme comme Bellilote !
    Si elle lui donnait un enfant, il n’hésiterait pas à s’unir à elle. « Mais que voulez-vous, dit-il à Bourrienne, la petite sotte n’en peut pas faire. »
    Serait-ce le moment, d’ailleurs ?
    Cette femme le distrait, le satisfait, l’équilibre. Elle préside les dîners, est présente à ses côtés. Les aides de camp lui font escorte. Eugène de Beauharnais

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