[Napoléon 1] Le chant du départ
réussi à franchir le blocus anglais. Il apporte des nouvelles d’Europe. La France doit faire face à une coalition, ses conquêtes sont menacées. « Si, dans le courant du mois de mars, le rapport du citoyen Hamelin se confirme et que la France soit en armes contre les rois, je passerai en France », dit Napoléon.
Les portes de l’avenir se sont rouvertes.
Il va quitter Le Caire pour la Syrie.
On lui présente trois grenadiers de la 32 e demi-brigade, accusés d’avoir tué deux Égyptiennes chez elles, lors d’une tentative de vol. Le Divan veut que le général en chef les juge.
Ils sont en face de lui, frustes et protestant de leur innocence, rappelant les combats auxquels ils ont participé. Il les interroge. Ils se troublent. Des preuves, un bouton, un morceau d’uniforme, les accablent. Il décide seul. Ils seront fusillés.
Quelques heures plus tard, ils sont exécutés en présence de toute la brigade, après avoir levé leur verre « à la santé de Bonaparte ».
Il écoute le récit de l’exécution. Des soldats ont protesté, d’autres se sont félicités du châtiment au nom de l’ordre, de la discipline et de la justice. Il dit au médecin Desgenettes qui se trouve à son côté :
— Comment diable disputerait-on raisonnablement à un homme, à qui l’État confie quelquefois la vie de cent mille hommes, le droit de réprimer d’après sa conviction des délits aussi graves…
Il fait quelques pas, puis il ajoute :
— Un général en chef doit être investi d’un pouvoir terrible.
34.
Il fait froid. Napoléon se retourne. À quelques centaines de mètres, le village brûle. Il entend encore quelques cris, puis, parce qu’il s’éloigne vite au milieu de la cavalcade de l’escorte, ces hurlements s’effacent. Berthier s’approche de lui et, tout en galopant, l’interroge sur ses blessures. Napoléon donne un coup d’éperon et étouffe une plainte. Sa cuisse est douloureuse, sa tête à chaque instant résonne, bat là où il a reçu le coup, sur la tempe. Il se retourne à nouveau. La compagnie des dromadaires forme un bloc qui cache les flammes de ce village où il eût pu mourir, en ce 15 février 1799. Les paysans se sont précipités sur lui armés de bâtons, parce qu’il était isolé en compagnie de Berthier, ayant laissé l’escorte s’éloigner. Et tout à coup il a été entouré, frappé. Puis la cavalerie a surgi, sabrant, tuant, mettant le feu au village.
Cet incident est un signe de plus. Depuis qu’il avance vers le nord, à la tête des treize mille hommes qui composent son armée, il n’est porté par aucun enthousiasme. Il chevauche pourtant dans le pays de la Bible, celui qu’occupèrent les Croisés. Il imagine un soulèvement des populations chrétiennes de Palestine, et le ralliement des Arabes dressés contre leurs maîtres ottomans. Il pourrait, si cela se produisait, rejoindre soit l’Inde, soit Constantinople, bouleverser la carte du monde. Mais, et il s’en étonne lui-même, il demeure sombre.
Le 17 février 1799, il arrive à El Arich. Les troupes du général Reynier viennent de conquérir la forteresse. Napoléon traverse à pas lents le camp où les soldats ont allumé de grands feux, sur lesquels rôtissent des moutons, des quartiers de chevaux. Ils ont dressé de grandes tentes et, en se penchant, Napoléon aperçoit des silhouettes de femmes, des Noires abyssines, des Circassiennes. Sur le sol sont placés des matelas et des nattes.
Est-ce là l’armée qui peut marcher jusqu’à l’Indus ? Les soldats ne le regardent pas. Le général Reynier s’avance, accompagné de ses officiers. La forteresse d’El Arich était bien défendue, explique-t-il, mais il a conduit l’attaque par surprise. Les Ottomans ont été embrochés pendant leur sommeil. Peu de pertes parmi les assaillants, mais il montre du bras les corps des Turcs entassés sur le sol, il n’y a que quelques survivants.
Napoléon s’avance. « C’est une des plus belles opérations de guerre qu’il soit possible de faire », dit-il. Puis il indique le campement. L’indiscipline y règne. Pourquoi ces feux où chaque groupe de soldats se nourrit à sa guise ? Où sont les approvisionnements ? Qui distribue les vivres ?
Et brusquement Reynier s’emporte, proteste contre l’accusation. Ses officiers l’approuvent. Le général Kléber qui survient ajoute que rien n’a été prévu, qu’on ne peut entretenir une armée sur les
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