[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
qui ne le satisfait plus guère ».
Il faut rassurer Joséphine. Et puis, n’est-il pas vrai qu’il ne sait plus aimer ?
Il rentre aux Tuileries puis s’en va à Saint-Cloud. Mais il oublie parfois dans quel lieu il se trouve, tant il reproduit les mêmes gestes, s’adonne aux mêmes tâches, voit les mêmes visages.
— Je suis une bête d’habitude, dit-il à Méneval avant de commencer à lire les rapports de Desmarets, qui dirige la Haute Police, ces services secrets qui espionnent les étrangers.
Mais les mémoires des espions de Fouché le passionnent autant, comme ceux des cabinets noirs, qui ouvrent les correspondances. Comment gouverner sans connaître les opinions, les conspirations qui se trament ?
Car les adversaires n’ont pas désarmé.
Il lit cette anagramme qu’on répand dans Paris :
Napoléon Empereur des Français
ou
Ce fol Empire ne durera pas son an
Il déchiffre ces épigrammes que les espions se procurent dans les cafés et qu’on se répète à voix basse :
Le zèle du préfet mérite qu’on le loue ,
Mais il a beau sabler, balayer nuit et jour
Partout où passera la Cour ,
Partout on verra de la boue .
Napoléon froisse ces feuilles, les jette à terre, les reprend. Il découvre le texte d’une affiche qu’on placarde au Carrousel, à quelques pas des Tuileries :
Les Comédiens impériaux donneront aujourd’hui
LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION
DE
L’EMPEREUR MALGRÉ TOUT LE MONDE
suivi de
Le Consentement forcé.
Spectacle donné au profit d’une famille indigente .
On se moque du pape Pie VII, Pistache , crient les limonadiers aux grands rires des badauds, rapportent les espions.
Que fait Fouché ? Que fait donc le préfet de police ? Les rumeurs, les sarcasmes, les pamphlets sont une gangrène qui pourrit le pays. Peut-on laisser moquer le souverain pontife alors qu’il séjourne encore à Paris ?
Je veux, dicte Napoléon, que le préfet de police surveille au moment du carnaval, en février, toutes les mascarades, et qu’on empêche de courir les rues en habits ecclésiastiques. Et qu’on crée un bureau de police chargé de surveiller les journaux, les théâtres, les imprimeries, les librairies. Et qu’on interdise à qui que ce soit de reproduire les articles des journaux anglais.
Ce sont nos ennemis.
Il en a l’intuition dès ce début de l’année 1805, c’en est fini du temps des fêtes.
Il repousse du pied les rapports de police qui jonchent encore le sol de son cabinet de travail. Ces attaques l’ont réveillé, même s’il n’a jamais été englouti par le rêve. Mais il a durant quelques jours de décembre 1804 repoussé ces préoccupations qui maintenant l’assaillent.
— Nous ne sommes plus au temps des choses aimables et frivoles, dit-il. Il ne faut que du grave et du sérieux.
Il fait un bref séjour à Boulogne, passe en revue les troupes, monte à bord de quelques chaloupes canonnières. C’est le plein hiver, les vents froids, les tempêtes. Il écoute l’amiral Bruix. Il se souvient de leur différend. Mais Napoléon ne s’obstine pas, cette fois-ci. L’invasion de l’Angleterre sera remise au printemps. Et peut-être faudrait-il tenter d’éviter la guerre.
Il dicte une lettre pour George III, le roi d’Angleterre.
« Je n’attache aucun déshonneur à faire le premier pas », dit-il.
Il fixe Berthier, qui se tient debout près de la table où Méneval écrit.
L’étonnement du ministre de la Guerre est plaisant. Imagine-t-il que je pense que le roi d’Angleterre acceptera mes suggestions ? Mais il faut les faire. S’il y a une chance à saisir, une seule, je la tente. Et s’il n’y en a pas, l’opinion saura que je veux la paix .
« J’ai, reprend-il, assez prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre. Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre. »
Le monde peut-être, mais l’Europe ?
Il déploie les cartes, s’agenouille, pointe sur les grands espaces océaniques des épingles aux têtes de couleurs différentes.
Ici, à Toulon, l’escadre de Villeneuve. Là, à Cadix, celle de notre allié espagnol, l’amiral Gravina. Et à Brest, la flotte de Ganteaume. À Rochefort, une autre escadre encore, celle de Missiessy.
Il se redresse. Il prise, il marche une main derrière le dos, sous les basques de son habit.
— Il suffirait…, dit-il.
Puis il commence à dicter.
Parfois il s’arrête, les yeux fixes,
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