[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
Vienne.
« Je pense que Masséna doit être à cette heure à Vérone…
« Adieu, ma Joséphine, mille choses aimables partout.
« Napoléon »
37.
Il neige maintenant. Napoléon monte dans sa berline. L’escorte des chasseurs à cheval de la garde est déjà en selle.
C’est le début de l’après-midi devant l’abbaye d’Elchingen. Le ciel est bas. Sur la route qui contourne Ulm et s’enfonce entre les collines vers Munich et, au-delà, vers Vienne, cette traînée noire, c’est la Grande Armée qui marche. Parfois, des détonations se font entendre. Quelques officiers font ouvrir le feu sur des pillards, ou bien ce sont des soldats qui abattent des cochons ou des boeufs. Les hommes ont faim. Les hommes ont froid.
Napoléon ordonne de se mettre en route pour Munich. La berline s’ébranle lourdement, les roues s’enfonçant dans la neige. Il se penche, ordonne à l’aide de camp qu’on aille plus vite. Tout dépend de la vitesse, une fois encore.
Il faut surprendre Koutousov, ce général russe qu’on dit bon stratège, ces Autrichiens qui ont fait jonction avec lui. Et, en même temps, il ne faut pas se laisser entraîner trop loin.
Napoléon aperçoit, sur les bas-côtés, les soldats de l’infanterie de ligne. Ils s’avancent, têtes baissées, sous la neige. L’alcool de la victoire s’est dissipé, reste la fatigue. Ils marchent depuis Boulogne, et même s’ils se sont peu battus, ils sont épuisés.
Il faut en finir. Imposer à l’ennemi la bataille dans les conditions et au moment que j’aurai choisis. Comme un joueur d’échecs qui calcule plusieurs coups en avance et attire son adversaire dans le piège qu’il a médité .
Napoléon, dans la berline qui roule vers Munich, une carte déployée sur la banquette et malgré la faible lumière de la lampe à huile et les cahots de la route, essaie d’imaginer ce piège.
Il est trop tôt encore. La partie contre les Russes n’est pas engagée. Il faut d’abord prendre Vienne.
Mais je dois voir au-delà
Il veut que ce champ de bataille futur lui soit aussi familier que le fut le champ de guerre d’Italie.
Il commence à dicter une lettre à Cambacérès. « Je manoeuvre aujourd’hui contre l’armée russe qui est en position derrière l’Inn, dit-il. Avant quinze jours, j’aurai en tête cent mille Russes et soixante mille Autrichiens venus d’Italie soit des autres corps qui étaient en réserve dans la monarchie. Je les vaincrai mais, probablement, cela me coûtera quelques pertes. »
La buée couvre les vitres de la berline. Il distingue cependant les silhouettes courbées des soldats. Combien tomberont ? Il ferme les yeux.
« L’Ogre », c’est ainsi que les journaux payés par les Anglais m’appellent .
Comme s’il désirait la mort des hommes et s’en nourrissait ! Mais il ne se paie pas d’illusion ! Il murmure, et Méneval le regarde, ne sachant pas s’il doit noter : « Celui qui ne voit pas d’un oeil sec un champ de bataille fera tuer bien des hommes inutilement. »
Il est à Munich. Dans les vastes salles du palais royal, qui occupe tout le côté nord de la place de la Résidence, il est reçu par la Cour de Bavière.
Il sent, comme chaque fois qu’il se trouve au milieu de ces princes étrangers, une sorte de curiosité apeurée, presque de l’effroi. On l’invite à la chasse. Il accepte d’y participer, puis il se rend au théâtre. Il a demandé qu’on donne un concert en l’honneur de la Cour.
Talleyrand, qui vient d’arriver, s’est assis près de lui et chuchote tout au long du concert, expliquant qu’il faudrait ne pas écraser l’Autriche, mais plutôt conclure avec elle une alliance contre les vraies puissances ennemies, l’Angleterre, la Russie, la Prusse.
Talleyrand apporte aussi les dernières nouvelles de France. Les inquiétudes des gens d’argent sont toujours vives. La banque Récamier et la banque Hervas sont en faillite. On craint une guerre longue au sort incertain.
L’or aussi va vers les vainqueurs, dit Napoléon. Il faut donc achever la guerre par la victoire.
Talleyrand approuve, puis parle de Joséphine, si soucieuse de n’avoir pas reçu de lettres de l’Empereur, si parfaite qu’elle a séduit Strasbourg, où elle attend le bon vouloir de l’Empereur.
« L’on m’a donné des détails qui m’ont prouvé toute la tendresse que tu me portes, lui écrit Napoléon le soir même. Mais il faut plus de force et de confiance.
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