[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
lieutenant Adolphe Marbot.
Puis Fouché assure que le général Bernadotte ignorait tout des activités de ses subordonnés.
Il ne baisse pas les yeux quand Napoléon le regarde.
— Le général, beau-frère du citoyen Joseph Bonaparte…, continue Fouché.
— Ce bougre-là, je le ferai fusiller sur la place du Carrousel, interrompt Napoléon d’une voix sèche.
Il sait que Fouché rapportera ses propos. Et qu’ils feront trembler.
On gouverne aussi par la peur qu’on inspire.
17.
Napoléon ordonne du regard à son secrétaire de ne pas bouger. Il n’aime pas être dérangé, surtout quand il dicte. Les phrases s’enchaînent les unes aux autres, la pensée se déroule, et voilà qu’on a frappé à la porte du cabinet de travail, celle qui donne sur le petit escalier par lequel on accède à l’appartement de Joséphine. Mais Napoléon continue de dicter à Méneval un article pour Le Moniteur .
Il ne le signera pas, mais on saura reconnaître sa pensée, puisque ce journal, personne ne l’ignore en France et à l’étranger, exprime le point de vue du Premier consul. Et une tâche n’est bien exécutée que lorsqu’on l’accomplit soi-même.
Or l’article est important. C’est de la paix qu’il s’agit. La presse anglaise multiplie les attaques contre la France. « Tous les maux, tous les fléaux qui peuvent agiter les hommes viennent de Londres », répète plusieurs fois Napoléon. Mais le Times exagère dans ses « invectives perpétuelles contre la France. Deux de ses quatre mortelles pages sont tous les jours employées à accréditer de plates calomnies. Tout ce que l’imagination peut se peindre de bas, de vil, de méchant, le misérable l’attribue au gouvernement français. Quel est son but ? Qui le paie ? Sur qui veut-il agir ?… L’île de Jersey est pleine de brigands condamnés à mort par les tribunaux…. Georges Cadoudal porte ouvertement à Londres son cordon rouge, en récompense de la machine infernale qui a détruit un quartier de Paris et donné la mort à trente femmes, enfants et paisibles citadins. Cette protection spéciale n’autorise-t-elle pas à penser que, s’il eût réussi, on lui eût donné l’ordre de la Jarretière ? Quand deux grandes nations font la paix, est-ce pour susciter réciproquement des troubles ? »
On frappe avec insistance. Napoléon cesse de dicter. Avant même que Méneval se soit levé, Joséphine est entrée dans le cabinet de travail.
Évidemment, elle a quelque chose à quémander. Napoléon reconnaît son attitude suppliante, cette mimique de petite fille apeurée. Il n’est pas dupe, mais il éprouve chaque fois un mélange d’irritation, de satisfaction et de gêne. Qu’elle dise vite ce qu’elle veut ! Qu’elle laisse travailler ! Est-ce encore pour ses dettes qu’elle vient ? ! Il ne veut plus payer ! Ou bien lui ménage-t-elle l’une de ses surprises enfantines et stupides, du genre de la dernière qu’il ait eu à subir ? Elle a déposé devant lui un panier fermé par un foulard, et, quand il a soulevé le tissu, il a découvert un horrible nain qui grimaçait et se contorsionnait.
Mais c’est Joséphine avec qui, encore, il partage la plupart de ses nuits ! Elle dit qu’ainsi, parce qu’elle a le sommeil léger, elle le protégera des assassins. Et, à lire la presse de Londres, ceux qui veulent le tuer ne doivent pas manquer d’appui et d’argent. Belle paix !
Il questionne Joséphine d’un ton irrité.
— Mme Grand est là, murmure-t-elle. Elle vous supplie de la recevoir.
Il connaît l’obstination des femmes. Et il n’ignore rien de cette Mme Grand, fille d’un matelot de Batavia, danseuse d’un théâtre de Calcutta. Elle est passée d’un lit à l’autre, et se trouve présentement dans celui de M. de Talleyrand. Et elle veut se faire épouser par le ministre, qui doit pour cela obtenir du pape, parce qu’il est ancien évêque, une réduction à l’état laïque. Et, naturellement, Napoléon est sollicité pour écrire une lettre à Pie VII appuyant cette demande.
Il hésite. Il tient à Talleyrand, un homme tortueux mais souvent de bon conseil. Or, depuis que Mme Grand est installée dans l’hôtel de Talleyrand, rue du Bac, les diplomates et leurs femmes refusent de se rendre aux réceptions du ministre. Le dilemme est simple : ou il se marie, ou il quitte le ministère.
Napoléon accepte de la recevoir et la regarde s’avancer. Mme Grand a
Weitere Kostenlose Bücher