[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
Markof, car, en effet, il les a toutes réunies sous la domination française. » Et Lucchesini avait répondu : « Il veut reproduire Charlemagne, éclairé par les Lumières de notre siècle.. Nul doute qu’il n’en ait formé le projet sans fixer l’époque de la réalisation. »
Il ne sait pas encore lui-même quel but il se fixe.
Il y aura un après à cette nouvelle Constitution qui doit être proclamée demain, 4 août 1802. Elle prévoit qu’il sera consul à vie, comme les deux autres consuls, mais c’est lui qui les désignera. Il a même le droit de choisir son successeur. Il est président du Sénat et d’un Conseil privé. Les deux autres Assemblées sont dépouillées de vrais pouvoirs. Il dispose du droit de grâce.
Qu’est-il ? s’interroge-t-il en regardant ces ambassadeurs et ces ministres. Un roi ? Il lui manque une couronne et un sacre !
M’accepteraient-ils mieux, admettraient-ils mieux la Révolution, si ma tête était ceinte d’or et de diamant, et si le représentant de Dieu m’avait béni ? Est-ce à ce prix que je pourrai définitivement leur faire plier le genou ? leur faire avaler leur haine, leur faire reconnaître que moi, fils de la Révolution, je suis l’égal des plus grands ?
Voici que s’avancent les membres du Sénat.
Les ambassadeurs se sont rangés de part et d’autre de la grande salle. Barthélémy, qui fut marquis puis l’un des Directeurs en 1795, déclare que le peuple français a nommé Napoléon Bonaparte consul à vie, et que le Sénat l’a proclamé. Une statue de la Paix tenant dans sa main le laurier de la victoire sera élevée en son honneur.
Barthélémy poursuit d’une voix forte : « Le Premier consul reçoit des Français la mission de consolider leurs institutions. Il ne leur donnera jamais que l’élan de la gloire et le sentiment de la grandeur nationale. »
Napoléon répond lentement, détachant chaque mot, son regard s’arrêtant sur chaque visage : « Sénateurs, la vie d’un citoyen est à sa patrie. Le peuple français veut que la mienne tout entière lui soit consacrée. J’obéis à sa volonté. »
Qu’est-il, sinon l’égal d’un roi ?
Il lève la tête, regarde au-dessus de la foule des personnalités, et ses yeux se portent vers le ciel légèrement voilé d’août.
« Content, poursuit-il, d’avoir été appelé par l’ordre de celui de qui tout émane, à ramener sur cette terre la justice, l’ordre et l’égalité, j’entendrai sonner la dernière heure sans regret et sans inquiétude sur l’opinion des générations futures.
« Sénateurs, recevez mes remerciements… »
15 août 1802. Il a trente-trois ans.
En ce jour, on fête dans toutes les églises de la République son anniversaire et le Consulat à vie.
Le matin, il a revêtu son uniforme de Premier consul et il a reçu les corps constitués aux Tuileries.
Trois cents instrumentistes jouent, cependant que conseillers d’État, sénateurs, tribuns, députés, ministres présentent leurs hommages.
À quinze heures, c’est le Te Deum à Notre-Dame.
Presque un couronnement.
Le soir, à la Malmaison, il danse. Et Hortense, grosse pourtant de sept mois, joue après le bal dans une petite pièce du citoyen Duval. Tout en applaudissant, il pense à la foule qui, place Vendôme, doit danser au son de quatre orchestres autour d’un autel à huit faces sur lequel on peut lire le texte du sénatus-consulte.
Il a donné l’ordre qu’on illumine les monuments de Paris. Et, sur les tours de Notre-Dame, brille le lion, son signe du zodiaque.
Qui eût imaginé cela ?
Qui peut imaginer ce qui surviendra ?
Le 21 août, il se rend au palais du Luxembourg pour présider la séance solennelle du Sénat.
Il est assis dans la voiture qui fut celle de Louis XVI et que tirent huit chevaux blancs. À sa droite et à sa gauche, il voit caracoler les officiers de son état-major et les cavaliers de sa garde. Au-delà, tout au long du trajet, des Tuileries jusqu’au Luxembourg, les troupes forment une haie d’honneur. Derrière les soldats, la foule se presse mais elle est silencieuse. Il la salue. Elle ne répond pas. Il se soulève un peu sur son siège et aperçoit la voiture où ont pris place ses frères. Ils saluent aussi. Il a lui-même prescrit à Fouché de ne rien organiser de factice sur son passage. Mais Fouché est assez retors pour avoir pesé dans l’autre sens. Des placards, selon les
Weitere Kostenlose Bücher