[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
bien dans son corps. La guerre peut venir.
Il reçoit Talleyrand le 1 er mai, qui lui présente une lettre de Withworth.
Il la regarde à peine. Les jeux sont faits.
— Si la note contient le mot ultimatum, dit-il, faites-lui sentir que ce mot renferme celui de guerre. Si la note ne contient pas ce mot, faites qu’il le mette, en lui faisant observer qu’il faut enfin savoir à quoi s’en tenir !
On ne peut plus hésiter. Il écoute Talleyrand avancer des arguments pour qu’on négocie encore. Il hausse les épaules, aspire plusieurs prises de tabac, calmement. Il accepte les idées de Talleyrand ; qu’on propose en effet aux Anglais de confier Malte à la Russie, ou bien que les Anglais admettent que les Français s’installent dans le golfe de Tarente en compensation de Malte. Mais il est persuadé qu’ils refuseront.
— D’ailleurs, puisqu’il faut combattre tôt ou tard, avec un peuple auquel la grandeur de la France est insupportable, eh bien, mieux vaut aujourd’hui que plus tard, dit-il.
Il ouvre la fenêtre. Cette journée du 1 er mai 1803 est transparente. Des soldats manoeuvrent dans les allées du parc, autour du château.
— L’énergie nationale, reprend-il, n’est pas émoussée par une longue paix. Je suis jeune, les Anglais ont tort, plus tort qu’ils n’auront jamais ; j’aime mieux en finir.
Il n’y a plus que quelques jours à attendre, quelques dernières mesures à arrêter. Il aime ce moment, quand l’horizon s’éclaircit et que les lignes deviennent nettes.
Il convoque M. de Barbé-Marbois, ministre du Trésor.
« Mon parti est pris, dit-il. Je donnerai la Louisiane aux États-Unis. » On ne peut la défendre contre les Anglais. « Je leur demanderai une somme d’argent pour payer les frais de l’armement extraordinaire que je projette contre la Grande-Bretagne. »
Attendre encore les réponses de Londres aux dernières propositions.
Il se distrait. Il invite Joséphine, Hortense, Caroline et Cambacérès à monter dans une calèche qu’il décide de mener lui-même dans le parc de Saint-Cloud. Il fouette les six chevaux, qui s’emballent, et il accroche la voiture, qui verse. Il est jeté à terre, contusionné.
On se précipite. Il reste un instant étendu. Il pense à la guerre. À cette suite d’événements imprévisibles qui peuvent changer le cours des choses. Il se redresse, interdisant qu’on le soutienne. De la voiture sortent, indemnes, les passagers.
La nuit tombe. Il entend Joséphine qui propose à Hortense de rester à Saint-Cloud, mais sa fille répond que son mari, Louis, le lui a interdit.
Napoléon crie, sa colère explose, contre son frère et peut-être aussi contre tout ce qui échappe à sa volonté, contre l’avenir qui, à chaque instant, est rempli d’incertitude.
Le 12 mai, Napoléon est à la Malmaison. Il s’est levé plus tôt que d’habitude. Il marche dans le parc. Il entend le galop d’un courrier. Un aide de camp lui apporte un pli. C’est une dépêche de Talleyrand qui annonce que lord Withworth a demandé ses passeports et a quitté Paris. Il doit faire étape à Chantilly, puis gagner lentement, en relais, Calais. Le général Andréossy, l’ambassadeur de France, a déjà quitté Londres et se dirige vers Douvres. Paris est calme, mais de très nombreux badauds silencieux ont guetté le départ de lord Withworth.
La guerre est là.
Napoléon donne un ordre. Il veut partir immédiatement pour Paris.
Aux Tuileries, il confère avec Talleyrand, dicte une ultime proposition pour Withworth, qui sera portée à l’ambassadeur à Chantilly.
Il ne sera pas dit, devant l’Histoire, qu’il n’aura pas tenté jusqu’au dernier moment d’éviter cette guerre, qu’il sait pourtant inéluctable.
Lord Withworth n’a pas répondu.
Napoléon donne des ordres. Que le général Mortier marche vers Le Havre et contrôle la côte. Il passe en revue les six cents élèves du Prytanée du Champ-de-Mars. Le soir, il assiste à une représentation de Polyeucte au théâtre de la République.
L’atmosphère est grave, les vers de Corneille sont écoutés dans une sorte de recueillement. Il lui semble que c’est la première fois qu’il entend :
La vertu la plus ferme évite les hasards
Qui s’expose au péril veut bien trouver sa perte
Il refoule une inquiétude qui monte.
J’ai de l’ambition mais plus noble et plus belle
Cette grandeur périt, j’en veux une
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