[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
mer à des dizaines de milliers d’hommes, ceux-là mêmes qui sont déjà en marche vers Boulogne, où l’on prépare les camps pour les recevoir.
Il dicte encore, pour qu’on mette partout en construction des navires, au Havre, à Cherbourg, à Toulon, à Brest, à Gênes et même à Paris, quai de la Rapée, où l’on doit lancer des péniches et des bateaux à fond plat.
Il a eu l’idée, en questionnant l’ingénieur de la Marine, Sganzin, et Forfait, expert en construction navale, de concevoir une flottille de petits navires. Ces chaloupes canonnières, ces bateaux canonniers, ces péniches transporteront chacun une centaine de soldats, des canons. Ils seront capables de naviguer à rames et à voiles, alors que le beau temps peut immobiliser les gros navires.
Il ne dicte plus. Il voit ces milliers de bâtiments harcelant les vaisseaux de ligne anglais.
Il faudrait plus de deux mille navires. Il faudrait utiliser pour la traversée les deux ou trois jours – il y en a en toute saison – où la mer est calme. Dût-on sacrifier cent de ces embarcations, que l’opération serait cependant possible. On pourrait réunir plus de cent soixante mille hommes, dont cent vingt mille à Boulogne.
Et si on ajoutait à cela, déjà suffisant pour réussir, les flottes de haut bord venues de Toulon, de Brest, de Ferrol et du Texel, capables de tenir, ne fût-ce que trois jours, la mer, et de fixer ainsi l’escadre anglaise, alors la réussite serait certaine.
Il ne jouera que quand il aura toutes ces cartes en main. « À la guerre, rien ne s’obtient que par le calcul, dit-il à Méneval. Tout ce qui n’est pas profondément médité dans les détails ne produit aucun résultat. »
Il se laisse aller contre le siège de la banquette.
« Et puis, murmure-t-il, il y a les circonstances imprévues, qui font échouer les bons plans de bataille et parfois réussir les mauvais. »
Lorsque la voiture traverse la place Vendôme, il la fait ralentir, puis tourner autour de la place et s’arrêter quelques instants.
Il imagine le monument auquel il songe depuis longtemps, peut-être depuis que Fontanes, l’amant de sa soeur Élisa, le compare sans cesse à Charlemagne.
Il descend de voiture, marche jusqu’au milieu de la place. Peut-être est-il en effet de la race des bâtisseurs d’empire ?
Des passants se sont arrêtés et l’acclament. Il remonte en voiture et commence à dicter.
« Il sera élevé à Paris, au centre de la place Vendôme, dicte-t-il, une colonne à l’instar de celle érigée à Rome en l’honneur de Trajan. La colonne sera surmontée d’un piédestal terminé en demi-cercle, orné de feuilles d’olivier et supportant la statue pédestre de Charlemagne. »
Il gagne son cabinet. Il continue de dicter. Il faut que toutes les fonderies de la République soient au travail, jour et nuit.
Il marche, les mains derrière le dos. Il prise.
Il faut prendre les dispositions pour armer et atteler quatre cents bouches à feu de campagne, sans compter l’artillerie de siège.
Où en sont les constructions de chaloupes ?
Il harcèle les chefs de chantier par de brèves dépêches, qu’on fait porter par courrier, quai de la Rapée et quai de Bercy.
Il faut que les troupes manoeuvrent par tout temps, que les bâtiments sortent en mer, affrontent les frégates anglaises. Il faut construire des forts à l’entrée de Boulogne. Il faut, il faut, il faut…
Il veut tout voir par lui-même.
Il monte dans une péniche, quai des Invalides, et il commande la manoeuvre cependant que, sur les berges, la foule s’agglutine, le reconnaît, l’applaudit. Il se met aux avirons, en aval du pont de la Concorde.
Il voudrait pouvoir ramer ainsi jusqu’à Londres.
Bientôt il sera à la tête de la « Grande Armée » d’Angleterre, et le temps viendra de l’invasion.
Il reçoit Philippe de Cobenzl, le cousin du chancelier d’Autriche. Il devine Cobenzl à l’affût d’informations. Vienne, comme Berlin, ne sait que penser de cette guerre qui commence. Les Autrichiens ont vu leur influence réduite en Allemagne, depuis la réorganisation sous inspiration française des principautés allemandes. L’empereur d’Autriche ne sera plus jamais empereur d’Allemagne.
J’ai obtenu cela.
— Les guerres inévitables sont toujours justes, commence Napoléon.
Puis, d’une voix égale, comme si cela n’avait aucune importance, il ajoute :
— Cette guerre entraînera
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