[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
à Ettenheim. On m’a assuré que non, et je présume qu’on ne l’y a supposé qu’en confondant son nom avec celui du général Thumery… »
Ni Dumouriez ni Spencer Smith n’étaient présents à Ettenheim, mais Thumery et Schmidt.
Napoléon relit, ligne après ligne.
Il laisse son esprit vagabonder. Aurait-il donné l’ordre d’enlever le duc d’Enghien s’il n’avait pas été persuadé de la présence de Dumouriez, dont la participation à la conspiration en confirmait l’ampleur ?
« Le duc d’Enghein m’a assuré que Dumouriez n’était pas venu à Ettenheim, écrit Charlot, qu’il serait cependant possible qu’il eût été chargé de lui apporter des instructions de l’Angleterre, mais qu’il était au-dessous de son rang d’avoir affaire à de pareils gens. »
Innocent, le duc d’Enghien ?
Que signifie l’innocence, quand on est prince de sang ? Qu’on a servi l’étranger contre sa patrie ?
Napoléon lit les dernières lignes du message de Charlot :
« Le duc d’Enghien estime Bonaparte comme un grand homme, mais qu’étant prince de la famille des Bourbons il lui a voué une haine implacable ainsi qu’aux Français, auxquels il ferait la guerre dans toutes les occasions… Il dit qu’il se repent de n’avoir pas tiré sur moi, ce qui aurait décidé de son sort par les armes. »
Napoléon ne retourne pas au salon où l’on bavarde.
La nuit est tombée. Les jeux sont faits. Le duc d’Enghien roule vers Paris sous bonne escorte. On l’enfermera au fort de Vincennes.
Quel sort pour cet homme ? La loi, toute la loi. Comme pour n’importe quel émigré qui aurait porté les armes contre la France. Et il l’a fait. Il sera donc jugé par une commission militaire de sept membres.
Napoléon ouvre la porte-fenêtre.
Il fait froid dans cette nuit du 17 au 18 mars 1804. Il entend les rires qui viennent du salon. Des musiciens jouent.
Si le duc est traduit devant cette commission militaire, la loi, celle du 28 mars 1793, celle du 25 brumaire an III, dit : « La mort. »
Dans la voiture qui, le dimanche 18 mars 1804, le conduit aux Tuileries, Napoléon se retourne vers Joséphine. Elle a le menton sur la poitrine et paraît accablée.
Depuis qu’il lui a annoncé ce matin l’arrestation du duc d’Enghien et son intention de le faire traduire en jugement, elle se tait et soupire.
Il fallait bien qu’il le dise. Elle parlera autour d’elle, incapable qu’elle est de garder ce secret, il en est sûr. Et il est utile que la nouvelle se répande et, ainsi que par les mille canaux des confidences, on connaisse le résultat de son action. Parce qu’il veut aller vite. Frapper fort, être craint.
Il prend le bras de Joséphine. Elle doit assister avec lui à la messe aux Tuileries. C’est le dimanche de la Passion. Elle ne doit pas s’afficher ainsi, morose, triste et préoccupée. Elle l’entend ?
Elle s’efforce de sourire.
Le 19 mars, tôt le matin, à la Malmaison, il se promène dans le parc. Il aperçoit un courrier qui entre dans la maison, porteur de deux sacoches. Il se précipite. Ce sont les papiers saisis dans la maison du duc d’Enghien, à Ettenheim.
Il s’enferme pour les examiner seul.
Tout un homme est là, dans ces pages, ces lettres intimes à Charlotte de Rohan. Le duc raconte ses chasses ou répond au prince de Condé.
Pour cet homme, Napoléon n’éprouve aucune haine. Mais c’est un ennemi qui écrit : « Monsieur le duc d’Enghien prie monsieur Stuart de faire connaître à son souverain et à son gouvernement l’impatience extrême dans laquelle il est de prouver à Sa Majesté britannique l’étendue et la sincérité de ses sentiments, de son dévouement et de sa reconnaissance… et le bonheur qu’il éprouverait s’il se trouvait enfin placé dans un rang qui le mît à la portée d’acquérir l’estime du souverain son bienfaiteur et de son énergique et estimable nation. »
Un Bourbon au service de l’Angleterre !
Qui déclare vouloir rester « rapproché des frontières car, comme je le disais tout à l’heure, la mort d’un homme peut amener, au point où en sont les choses, un changement total ».
Napoléon cesse de lire et sort marcher dans le parc.
« La mort d’un homme », a écrit le duc. C’est de ma mort, qu’il parle, c’est elle, qu’il attend.
C’est bien la guerre. C’est eux, ou moi. C’est eux, ou nous.
Il rentre dans son cabinet, recommence à
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