[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
quelques lignes. Qu’on les porte à Réal, qu’il se rende sur-le-champ à Vincennes pour interroger une nouvelle fois le prisonnier. Au bord de la fosse, les hommes parlent.
Peut-être sera-ce une chance pour le duc d’Enghien ? Si le destin le veut, je l’offre.
Il attend.
À huit heures, le 21 mars 1804, le général Savary entre dans le salon de Malmaison. Sur son visage, Napoléon lit la mort du duc d’Enghien.
— Pourquoi avoir jugé sans attendre Réal ? demande Napoléon.
Réal survient. Il est pâle. On lui a remis le pli trop tard. Il dormait.
— C’est bien, dit Napoléon d’une voix sourde.
Il leur tourne le dos.
Joséphine le suit, répète :
— Le duc d’Enghien est mort, ah ! qu’as-tu fait ?
Il dit d’une voix forte :
— Au moins, ils verront ce dont nous sommes capables. Dorénavant, j’espère qu’on nous laissera tranquilles.
Il leur fait face, à tous.
— J’ai versé du sang, reprend-il, je le devais, et j’en répandrai peut-être encore. Mais sans colère, et tout simplement parce que la saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique.
Leurs yeux expriment l’effroi. Pourquoi refusent-ils de voir ce qui est ?
— On veut détruire la Révolution, en s’attaquant à ma personne, ajoute-t-il. Je suis l’homme de l’État, je suis la Révolution française et je la soutiendrai.
25.
Napoléon est debout, le dos à la cheminée. Il aime cette chaleur, cette odeur du bois qui brûle. Depuis qu’il est entré dans le salon de la Malmaison, qu’il s’est placé ainsi devant la cheminée, on n’ose pas s’approcher de lui.
Joséphine et Mme de Rémusat pleurent. Eugène de Beauharnais a la mine grave de quelqu’un qui déplore la perte d’un parent. Parfois, Joséphine dit à haute voix : « C’est une action atroce », et elle se tourne vers Napoléon.
Elles ont voulu que Savary leur fasse le récit des derniers instants du duc d’Enghien. Il a montré un anneau, une mèche de cheveux que le prince s’est coupée devant le peloton d’exécution, une lettre qu’il a écrite dans les fossés du fort de Vincennes, le genou plié, le tout destiné à la princesse de Rohan-Rochefort.
Ma mère a promis de transmettre ces souvenirs. Elle aussi porte le deuil du duc d’Enghien.
Qu’ils restent éloignés, ces pleureurs qui se comportent comme des enfants.
Des généraux arrivent, rejoints par des ministres et des consuls.
Ils parlent fort, ils pérorent, ils entourent Napoléon, le félicitent pour cet acte. Ils rapportent le mot qu’a eu ce matin même le tribun Curée, un régicide, qui a déclaré : « Je suis enchanté, Bonaparte s’est fait de la Convention. » Des sénateurs, des membres du Conseil d’État ont déjà pensé à la suite qu’il fallait donner à l’événement. « Ils veulent tuer Bonaparte ? Il faut le rendre immortel. »
Napoléon s’éloigne en compagnie de Le Coulteux de Canteleu, le vice-président du Sénat.
Il faut jouer vite, maintenant, pense-t-il.
— Les circonstances dans lesquelles nous nous sommes trouvés, dit Napoléon, n’étaient point de nature à être traitées chevaleresquement. Cette manière dans les affaires d’État…
Il regarde vers le canapé où Joséphine est assise avec Mme de Rémusat.
— … serait puérile, conclut-il.
Il voit Joséphine se lever. Elle ne pleure déjà plus. Sans doute la vue de tous ces généraux, qui paraissent heureux de l’événement, la fait-elle douter du bien-fondé de ses larmes.
Il l’entend qui dit aux uns et aux autres, comme pour s’excuser :
— Je suis une femme, moi, et j’avoue que cela me donne envie de pleurer
Napoléon se dirige vers elle, lui prend le bras, dit à la cantonade :
— Il faut à tout prix vieillir cet événement.
Puis il annonce que ce soir, comme il était prévu, il se rendra à l’Opéra. Joséphine chuchote qu’elle craint l’accueil des spectateurs, qui peuvent manifester leur réprobation de l’« acte atroce ». Il faut attendre.
Il serre son bras.
Ce soir, répète-t-il, à l’Opéra.
La salle a applaudi comme à l’habitude.
Et le lendemain, dans le cabinet de travail des Tuileries, parviennent les premières adresses, rédigées par des soldats de la Grande Armée de Boulogne. Ils approuvent l’exécution du duc d’Enghien et demandent à Napoléon de se proclamer Empereur.
Le moment est venu d’aller plus loin.
Il se rend au Conseil
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