[Napoléon 3] L'empereur des rois
lance un aide de camp, on tire sur l’état-major !
Quel est ce naïf ?
Napoléon lance, en piquant son cheval des éperons :
— À la guerre, tous les accidents sont possibles !
L’archiduc Charles a déclenché une attaque contre les troupes de Masséna, pivot de la manoeuvre.
Masséna doit tenir. Napoléon galope dans sa direction, aperçoit sur la ligne de front la calèche tirée par les quatre chevaux blancs. Voilà un homme. Il saute à terre. Les boulets encadrent la calèche, blessent les aides de camp qui l’entourent. Napoléon monte dans la voiture. Il faut tenir, à tout prix, lance-t-il.
Debout, il parcourt avec sa lorgnette la ligne d’horizon. Les troupes de l’archiduc Charles avancent. Il aperçoit à l’ouest, dans le ciel clair, les maisons de Vienne et des milliers de mouchoirs blancs que les habitants de la capitale, depuis les toits ou les fenêtres, agitent pour saluer l’avance des troupes de l’archiduc.
Ils vont voir !
Il monte à cheval. Il donne l’ordre aux batteries d’artillerie concentrées dans l’île Lobau d’ouvrir le feu.
Il avait prévu cela. Les lignes autrichiennes sont brisées.
Il aperçoit l’aide de camp Marbot.
— Courez dire à Masséna qu’il tombe sur tout ce qui est devant lui et la bataille est gagnée ! hurle-t-il.
Il faut maintenant donner le coup de boutoir.
— Prenez cent pièces d’artillerie, crie-t-il au général Lauriston, dont soixante de ma Garde, et allez écraser les masses ennemies !
Il rejoint Lauriston au moment où celui-ci s’élance. Il veut, précise-t-il, que les pièces n’ouvrent le feu que lorsqu’elles seront à trois cents mètres des Autrichiens.
Il voit les artilleurs progresser sous les balles et les boulets, placer leurs canons roue contre roue, et déclencher enfin le feu alors que les Autrichiens semblent à quelques mètres seulement des pièces.
Les lignes sont éventrées. Les corps s’entassent, les blés prennent feu, les caissons de poudre sautent. Il voit les hommes projetés en l’air, leur giberne en feu.
— La bataille est gagnée ! lance-t-il.
Mais l’archiduc Charles se retire avec quatre-vingt mille hommes et se dirige vers Znaïm.
Il dort deux heures. À 3 heures du matin, le vendredi 7 juillet, il est debout.
Il chevauche dans les blés foulés et brûlés. Des blessés crient dans le jour qui se lève.
Il donne l’ordre que des détachements de cavalerie suivis par des voitures parcourent la plaine afin de secourir ces hommes que les épis cachent et qui vont pourrir dans la chaleur.
Est-ce ces cris, cette odeur des cadavres ou la chaleur intense ? Il sent tout à coup la fatigue. Il est pris de nausée.
Au château de Wolkersdorf où il s’installe, il commence à évaluer le chiffre des pertes. Combien de morts et de blessés ? Cinquante mille ? Sans doute autant chez les Autrichiens. Il a vu le maréchal Bessières étendu. Il n’a pas voulu s’approcher. Pas le temps de pleurer pendant la bataille. Cinq maréchaux ont été tués, trente-sept blessés.
Il écoute Savary qui lui parle de Bernadotte. Au soir du 5 juillet, Bernadotte a critiqué l’Empereur, déclaré que s’il eût commandé, lui, il aurait par une « savante manoeuvre, et presque sans combat, réduit le prince Charles à la nécessité de mettre bas les armes ». Bernadotte a en outre publié un ordre du jour à la gloire de ses Saxons.
— Éloignez-le de moi sur-le-champ, qu’il quitte la Grande Armée dans les vingt-quatre heures ! crie Napoléon.
Il est en sueur, la bouche remplie d’une salive amère. Les uns meurent, comme Lannes ou le général Lasalle, tué d’une balle en plein front à trente ans, les autres sont blessés, souffrent, comme Bessières, et celui-là se pavane !
Tout son corps est douloureux.
Il sort dans la nuit fraîche. La lune éclaire les jardins du château. Il vomit. La peau de son visage est brûlée par le soleil. Il entre lentement dans le château. Il a l’estomac cisaillé par une douleur.
Il appelle Roustam. Il veut du lait.
Il est contraint de s’allonger. Il se soulève. La campagne n’est pas finie.
L’archiduc Charles a toujours des troupes organisées. Il faut se diriger vers la ville de Znaïm, livrer bataille encore.
Mais il vomit à nouveau.
Ce corps l’abandonne.
Il ferme les yeux.
Malade ? Qu’est-ce que ce mot ? Cet état inacceptable ? Il travaille. Il somnole, se réveille en sursaut, dicte. Le
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