[Napoléon 3] L'empereur des rois
Il voit les redoutes ennemies le long de la rive gauche, mais vers Essling et Aspern. On franchira donc le Danube comme il l’a prévu, vers Enzersdorf.
Au-delà s’étendent les champs de blé mûr que la brise couche et qu’aucun paysan ne vient moissonner. Il faudra que les cavaliers et les fantassins avancent au milieu des épis.
Napoléon descend de l’échelle. Il convoque le maréchal Masséna. Il veut voir l’ennemi de plus près.
Napoléon endosse comme Masséna une capote de sergent. Le colonel de Sainte-Croix s’habille en simple soldat. Napoléon ouvre la marche, descend vers le rivage de l’île. Les Autrichiens sont de l’autre côté du fleuve. Mais entre soldats, dans cette période d’accalmie, on s’observe. Le colonel se déshabille. Il n’est qu’un soldat qui veut se baigner. Napoléon et Masséna s’assoient au bord de l’eau comme deux sergents en promenade. Les sentinelles autrichiennes regardent, plaisantent. Une sorte de trêve s’est établie en ce lieu de baignade.
Napoléon a vu. Il remonte vers le centre de l’île. Il ne modifiera pas son plan. Il suffit d’attendre que les ponts soient construits, prêts à être jetés. Quatre ponts entre l’île Lobau et la rive gauche, et trois ponts de la rive droite à l’île Lobau.
Il parcourt une nouvelle fois l’île. Les troupes y sont maintenant si nombreuses que des grenadiers de la Garde doivent y organiser la circulation des chariots et des canons, qui viennent s’accumuler dans l’attente du passage sur la rive gauche.
Tout à coup le cheval de Masséna trébuche, tombe dans un trou caché par de hautes herbes. Napoléon saute à terre. Est-ce à nouveau l’un de ces mauvais présages, pareil à ceux qui ont précédé la bataille d’Essling ?
Il a besoin de Masséna, cet orphelin sans fortune qui a bourlingué comme mousse avant de gravir sous l’Ancien Régime tous les grades, de caporal à adjudant-major, et de devenir général de brigade en 1793 grâce à son talent et à son courage.
Masséna a la cuisse ouverte. Il ne peut plus monter ni marcher. Ses troupes sont pourtant le pivot de la bataille. Elles sont prévues pour se tenir à l’aile gauche du dispositif, recevoir tout le choc de l’attaque autrichienne qui se produira dès l’arrivée des troupes sur la rive gauche, et elles devront tenir jusqu’à ce que l’archiduc Charles soit tourné.
Napoléon regarde Masséna, se penche sur sa blessure. Perdra-t-il aussi cet officier-là ? Guerrier avide d’argent, avare, mais « Enfant chéri de la Victoire », et fait duc de Rivoli ?
Masséna se redresse. Il grimace de douleur. Mais il commandera ses troupes en calèche, dit-il, avec un médecin à ses côtés.
Le vendredi 30 juin, au château de Schönbrunn, Napoléon convie à dîner Eugène de Beauharnais, les maréchaux Davout et Bernadotte. Il aime Eugène, courageux, fidèle. Presque un fils. Il apprécie Davout, duc d’Auerstedt, un ancien cadet-gentilhomme de l’École militaire de Paris, comme lui. Un homme qui a fait tirer en 1793 sur Dumouriez lorsque celui-ci a trahi la république. Un général qui n’a jamais été battu.
Napoléon parle sans regarder Bernadotte. Il se méfie de ce vieux rival, l’époux de Désirée Clary. Comme tout cela est loin, et comme la jalousie est tenace !
Bernadotte a retenu ses troupes à Austerlitz et à Iéna. Il a même conspiré contre moi. Il a refusé de s’engager le 18 Brumaire. Il commande les divisions saxonnes. Puis-je compter sur lui ?
À 22 heures, un aide de camp de Masséna annonce que les troupes ont commencé à passer sur la rive gauche, créant une tête de pont vers Essling afin de fixer l’ennemi.
C’est l’ouverture de la partie.
Napoléon, de la même voix égale, conclut le propos qu’il tenait sur le théâtre :
— Si Corneille vivait, je le ferais prince.
Puis il se lève, se tourne vers Montesquiou, le grand chambellan.
— À quelle heure se lève le jour ?
— Sire, à 4 heures.
— Eh bien, nous partirons demain matin à 4 heures pour l’île Lobau.
Il est debout à 3 heures. Comment dormir davantage ?
À 5 heures, ce samedi 1 er juillet 1809, il arrive dans l’île Lobau.
Il regarde les troupes qui passent les ponts de la rive droite vers l’île et trouvent difficilement une place dans l’île encombrée de caissons d’artillerie, de chevaux, de dizaines de milliers d’hommes. Il faut les faire attendre
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