[Napoléon 3] L'empereur des rois
envie de te voir, mais il faut que je sois sûr que tu es forte et non faible ; je le suis aussi un peu et cela me fait un mal affreux. »
Le lundi 25 décembre, il l’invite à Trianon pour le dîner, mais, dès qu’il la voit, il regrette de l’avoir conviée. Elle a cet air battu de victime qu’il ne supporte pas. Il se sent incapable de parler, assis en face d’elle avec, à sa droite, la reine Hortense et Caroline, reine de Naples.
Parfois il baisse la tête parce que les larmes envahissent ses yeux.
Il a voulu, choisi cela.
Il n’y aura pas d’autre dîner avec Joséphine.
Il quitte Trianon dès le lendemain et rentre aux Tuileries. Il longe les galeries, traverse le salon où se tenait le cercle de l’Impératrice.
Ce palais, sans épouse, est mort.
Il se sent isolé. Il ne peut s’empêcher de lui écrire encore :
« J’ai été fort ennuyé de retrouver les Tuileries, Eugène m’a dit que tu avais été toute triste hier : cela n’est pas bien, mon amie, c’est contraire à ce que tu m’avais promis.
« Je vais dîner seul.
« Adieu, mon amie, porte-toi bien. »
C’est le dernier jour de cette année 1809, un dimanche. Il se rend à l’arc de triomphe du Carrousel pour assister à la parade de la vieille Garde qui défile, acclamée.
Il rentre à 15 heures aux Tuileries. Le soleil de ce 31 décembre illumine les pièces.
Il s’assied à sa table de travail. Il va écrire à Alexandre.
Il faudra que dans les jours qui viennent je sache quel ventre, autrichien ou russe, portera mon fils !
Il dicte la lettre d’une voix saccadée.
« Je laisse Votre Majesté juge, qui est le plus dans le langage de l’alliance et de l’amitié, d’Elle ou de moi. Commencer à se défier, c’est avoir déjà oublié Erfurt et Tilsit. »
La phrase est dure. Mais il ne veut pas la changer. Une confidence en effacera peut-être la rudesse.
« J’ai été un peu en retraite, reprend Napoléon, et vraiment affligé de ce que les intérêts de ma Monarchie m’ont obligé à faire. Votre Majesté connaît tout mon attachement pour l’Impératrice. »
Il signe.
L’année qui commence doit être celle d’une autre vie, d’une autre femme, de ma plus grande gloire. J’aurai quarante et un ans .
32.
Napoléon lit la lettre que vient de lui faire porter Joséphine. Elle se redresse, quoi qu’elle dise. Ce n’est plus le divorce qui la désespère, mais l’état de ses biens !
Il prise, va jusqu’à la fenêtre. Il se sent mieux depuis quelques jours. L’hiver 1810 est vif, mais le temps est clair. Les jours ont recommencé à allonger.
Il reprend la lettre, la parcourt et, penché, il trace quelques lignes.
« Tu es sans confiance en moi, écrit-il, tous les bruits que l’on répand te frappent ; tu aimes plutôt écouter les bavards d’une grande ville que ce que je te dis ; qu’il ne faut pas permettre que l’on te fasse des contes en l’air pour t’affliger.
« Je t’en veux, et si je n’apprends que tu es gaie et contente, j’irai te gronder bien fort.
« Adieu, mon amie.
« Napoléon »
Joséphine est redevenue ce qu’elle n’a jamais cessé d’être. Une femme qui dépense et qui chante comme une cigale mais qui a l’avidité prudente d’une fourmi. Et qui, maintenant qu’elle a accepté le divorce, évalue ce que contient sa cassette. Comptons.
« J’ai travaillé aujourd’hui avec Estève, le trésorier principal de la Couronne. J’ai accordé 100 000 francs pour 1810, pour l’extraordinaire de la Malmaison. Tu peux donc faire planter tant que tu voudras ; tu distribueras cette somme comme tu l’entendras. J’ai chargé Estève de te remettre 200 000 francs. J’ai ordonné que l’on paierait ta parure de rubis, laquelle sera évaluée par l’intendance, car je ne veux pas de voleries de bijoutiers. Ainsi, voilà 400 000 francs que cela me coûte.
« J’ai ordonné que l’on tînt le million que la liste civile te doit pour 1810, à la disposition de ton homme d’affaires, pour payer tes dettes.
« Tu dois trouver dans l’armoire de la Malmaison 5 à 600 000 francs ; tu peux les prendre pour faire ton argenterie et ton linge.
« J’ai ordonné qu’on te fît un très beau service de porcelaine ; l’on prendra tes ordres pour qu’il soit très beau.
« Napoléon »
Il relit cette lettre comptable. C’est comme l’article d’un traité de paix. La bataille a eu lieu. On fixe les
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